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AVERTISSEMENT.

l’auteur avec mille cris. Voltaire, dans le Commentaire historique qu’il écrivit plus de trente ans après cet événement, nous dit : « On m’est venu prendre dans une cache où je m’étais tapi ; on m’a mené de force dans la loge de Mme  la maréchale de Villars, où était sa belle-fille. Le parterre était fou : il a crié à la duchesse de Villars de me baiser, et il a tant fait de bruit qu’elle a été obligée (d’en passer par là) par l’ordre de sa belle-mère. J’ai été baisé publiquement, comme Alain Chartier par la princesse Marguerite d’Écosse ; mais il dormait, et j’étais fort éveillé. »

Ce récit, fait par Voltaire lui-même, ne paraît pas à M.  G. Desnoiresterres à l’abri de toute contestation[1]. « Il se pourrait bien, dit-il, qu’il ait embelli et confondu. Le Journal de police, que nous avons sous les yeux, cite d’autres noms, et, tout en constatant le délire général, se tait absolument sur l’épisode du baiser : « Le parterre, nous dit-il, a non-seulement applaudi à tout rompre, mais même a demandé mille fois que Voltaire parût sur le théâtre[2] pour lui marquer sa joie et son contentement. Mmes  de Boufflers et de Luxembourg ont fait tout ce qu’elles ont pu pour engager ce poëte à satisfaire l’empressement du public, mais il s’est retiré de leur loge avec un air soumis, après avoir baisé la main de Mme  de Luxembourg. » Et sans doute, voilà le vrai : un baiser sur la main de Mme  de Luxembourg, au lieu d’un baiser de la jeune duchesse de Villars ; car l’observateur à gages n’avait nul motif de changer les faits et les personnes ; d’ailleurs, alors et depuis de longues années, la maréchale était en pleine réforme et n’allait sûrement plus au spectacle. Mais, dira-t-on, tout cela est extrait d’une lettre à d’Aigueberre, écrite six semaines au plus après cet incomparable triomphe. La réponse est aussi aisée qu’étrange : cette lettre, tout en constatant le grand succès de Mérope dans les mêmes termes que le Commentaire, garde le silence à l’égard du baiser de la duchesse, et le nom de Mme  de Villars ne s’y trouve même point. »

Le talent des interprètes contribua au succès de la tragédie. Mlle  Dumesnil eut dans le rôle de Mérope un succès personnel qui a laissé des traces dans

  1. Voltaire à Cirey, p. 302.
  2. C’est la première fois, fait observer Condorcet, que le parterre ait demandé l’auteur d’une pièce. Les parodies n’eurent garde d’omettre cette circonstance. On nous excusera de rapporter comment elle était travestie aux Marionnettes de la Foire Saint-Germain.

    Polichinelle s’entretenant avec son compère : « Eh bien, lui dit celui-ci, vas-tu nous donner quelque pièce nouvelle ? — Si elle est nouvelle, elle ne vaudra pas grand-chose, répond Polichinelle ; tu sais que je suis épuisé. — Bon, tu es inépuisable, répond l’autre ; donne toujours. — Tu le veux donc ? Je le veux bien ainsi, dit Polichinelle, et je t’avouerai que j’en mourais d’envie. Mais… tous nos amis sont-ils là-bas ? »

    Alors, déboutonnant sa culotte (ne l’oublions pas, la chose se passe aux Marionnettes) et faisant la révérence a posteriori, il lâche une pétarade au parterre ; et tout de suite on entend crier : « L’auteur, l’auteur, l’auteur ! »

    Lessing, dans la trente-huitième soirée de la Dramaturgie, trouve la sortie de Polichinelle « aussi spirituelle que sage ».