Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome04.djvu/241

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Et qui trop tard, hélas ! A dessillé mes yeux,
Te remet dans mes bras pour nous perdre tous deux.

Égisthe

Quel miracle, grands dieux, que je ne puis comprendre !

POLYPHONTE

Une telle imposture a de quoi me surprendre.
Vous, sa mère ? Qui ? Vous, qui demandiez sa mort ?

Égisthe

Ah ! Si je meurs son fils, je rends grâce à mon sort.

Mérope

Je suis sa mère. Hélas ! Mon amour m'a trahie. 
Oui, tu tiens dans tes mains le secret de ma vie ;
Tu tiens le fils des dieux enchaîné devant toi,
L'héritier de Cresphonte, et ton maître, et ton roi.
Tu peux, si tu le veux, m'accuser d'imposture.
Ce n'est pas aux tyrans à sentir la nature[1] ;
Ton coeur, nourri de sang, n'en peut être frappé.
Oui, c'est mon fils, te dis-je, au carnage échappé.

POLYPHONTE

Que prétendez-vous dire ? Et sur quelles alarmes ? ...

Égisthe

Va, je me crois son fils : mes preuves sont ses larmes,
Mes sentiments, mon coeur par la gloire animé,
Mon bras qui t'eût puni s'il n'était désarmé.

POLYPHONTE

Ta rage auparavant sera seule punie.
C'est trop.

Mérope, se jetant à ses genoux.

Commencez donc par m'arracher la vie ;
Ayez pitié des pleurs dont mes yeux sont noyés.
Que vous faut-il de plus ? Mérope est à vos pieds ; 
Mérope les embrasse, et craint votre colère.
À cet effort affreux jugez si je suis mère,
Jugez de mes tourments : ma détestable erreur,
Ce matin, de mon fils allait percer le coeur.
Je pleure à vos genoux mon crime involontaire.
Cruel ! Vous qui vouliez lui tenir lieu de père,
Qui deviez protéger ses jours infortunés,

  1. Laharpe, voulant imiter ce vers dans Gustave, dit :
    Vous sentez la vertu, vous sentez la nature.

    Ce vers fit beaucoup rire.