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496 DISSERTATION SUR LA TRAGÉDIE.

Pourquoi l’assassiner ? qu*a-t-il fait ? à quel titre ? Qui te l’a dit ?

ORBSTB.

dieux I quoi ! ne m*avez-vous pas Vous-même, ici, tantôt, ordonné son trépas ?

IIERMIONE.

Ah ! fallait-il en croire une amante insensée ?

Je citerai encore ici ce que dit César quand on lui présente Turnc qui renferme les cendres de Pompée [Pompée, V, i):

Restes d’un demi-dieu, dont à peine je puis Égaler le grand nom, tout vainqueur que j’en suis.

Les Grecs ont d’autres beautés ; mais je m’en rapporte à vous, monseigneur, ils n’en ont aucune de ce caractère.

Je vais plus loin, et je dis que ces hommes, qui étaient si passionnés pour la liberté et qui ont dit si souvent qu’on ne peut penser avec hauteur que dans les républiques, apprendraient à parler dignement de la liberté même dans quelques-unes de nos pièces, tout écrites qu’elles sont dans le sein d’une monarchie.

Les modernes ont encore, plus fréquemment que les Grecs, imaginé des sujets de pure invention. Nous eûmes beaucoup de ces ouvrages du temps du cardinal de Richelieu ; c’était son goût, ainsi que celui des Espagnols ; il aimait qu’on cherchât d’abord à peindre des mœurs et à arranger une intrigue, et qu’en suite on donnât des noms aux personnages, comme on en use dans la comédie : c’est ainsi qu’il travaillait lui-même, quand il voulait se délasser du poids du ministère. Le Venceslas de Rotrou est en fièrement dans ce goût, et toute cette histoire est fabuleuse. Mais l’auteur voulut peindre un jeune homme fougueux dans ses passions, avec un mélange de bonnes et de ma^ivaises qualités ; un père tendre et faible ; et il a réussi dans quelques parties de son ouvrage. Le Cid et Htraclius, tirés des Espagnols, sont encore des sujets feints : il est bien vrai qu’il y a eu un empereur nommé Héraclius, un capitaine espagnol qui eut le nom de Cid ; mais presque aucune des aventures qu’on leur attribue n’est véritable. Dans Zaïre et dans Alzire, si j’ose en parler, et je n’en parle que pour donner des exemples connus, tout est feint, jusqu’aux noms. Je ne conçois pas, après cela, comment le P. Brumoy a pu îlire, dans son Théâtre des Grecs, que la tragédie ne peut souffrir des sujets feints, et que jamais on ne prit cette liberté dans Athènes. Il s’épuise à chercher la raison d’une chose qui n’est pas.