Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome04.djvu/580

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Madame Duru.

Quoi ! pendant son absence ?

Le Marquis.

Quoi ! pendant son absence ?Ah ! les absents ont tort.
Absent depuis douze ans, c’est comme à-peu-près mort.
Si dans le fond de l’Inde il prétend être en vie,
C’est pour vous amasser, avec sa ladrerie,
Un bien que vous savez dépenser noblement :
Je consens qu’à ce prix il soit encor vivant ;
Mais je le tiens pour mort aussitôt qu’il s’avise
De vouloir disposer de la charmante Érise.
Celle qui la forma doit en prendre le soin ;
Et l’on n’arrange pas les filles de si loin.
Pardonnez…

Madame Duru.

Pardonnez…Je fuis bonne, et vous devez connaître
Que pour monsieur Duru, mon seigneur et mon maître,
Je n’ai pas un amour aveugle et violent :
Je l’aime… comme il faut… pas trop fort… sensément ;
Mais je lui dois respect et quelque obéissance.

Le Marquis.

Eh ! mon Dieu, point du tout : vous vous moquez, je pense ;
Qui, vous ? Vous, du respect pour un monsieur Duru ?
Fort bien. Nous vous verrions, si nous l’en avions cru,
Dans un habit de serge, en un second étage,
Tenir, sans domestique, un fort plaisant ménage.
Vous êtes Demoiselle ; et quand l’adversité,
Malgré votre mérite et votre qualité,
Avec monsieur Duru vous fit en biens commune,
Alors qu’il commençait à bâtir sa fortune,
C’était à ce monsieur faire beaucoup d’honneur ;
Et vous aviez, je crois, un peu trop de douceur
De souffrir qu’il joignît avec rude manière
À vos tendres appas sa personne grossière.
Voulez-vous pas encor aller sacrifier
Votre charmante Érise au fils d’un usurier,
De ce monsieur Gripon, son très-digne compère ?
Monsieur Duru, je pense, a voulu cette affaire ;
Il l’avait fort à cœur, et par respect pour lui,
Vous devriez, ma foi, la conclure aujourd’hui.

Madame Duru.

Ne plaisantez pas tant ; il m’en écrit encore,