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COMMENTAIRE

rendre la vie tolérable, et qu’il mourrait content s’il pouvait établir ces maximes dans l’Europe. On peut dire qu’il n’a pas été tout à fait trompé dans ce dessein, et qu’il n’a pas peu contribué à rendre le clergé plus doux, plus humain, depuis Genève jusqu’à Madrid, et surtout à éclairer les laïques.

Bien persuadé que les spectacles des jeux d’esprit amollissent la férocité autant que les spectacles des gladiateurs l’endurcissaient autrefois, il fit bâtir à Ferney un joli théâtre. Il y joua quelquefois lui-même, malgré sa mauvaise santé : et Mme Denis, sa nièce, qui possédait supérieurement le talent de la déclamation comme celui de la musique, y joua plusieurs rôles. Mlle Clairon et le célèbre Lekain y vinrent représenter quelques pièces ; on accourait de vingt lieues à la ronde pour les entendre. Il y eut plus d’une fois des soupers de cent couverts, et des bals ; mais, malgré le tumulte d’une vie qui paraissait si dissipée, et malgré son âge, il travaillait sans relâche. Il donna, dès l’an 1755, au théâtre de Paris, l’Orphelin de la Chine, représenté le 20 août ; et Tancrède, le 3 septembre 1760. Mlle Clairon et Lekain déployèrent tous leurs talents dans ces deux pièces.

Le Café, ou l’Écossaise, comédie en prose, n’était point destinée à être jouée ; mais elle le fut aussi la même année[1] avec un grand succès. Il s’était amusé à composer cette pièce pour corriger le folliculaire Fréron, qu’il mortifia beaucoup, mais qu’il ne corrigea pas. Cette comédie, traduite en anglais par M. Colman, eut le même succès à Londres qu’à Paris : ces ouvrages ne lui coûtaient point de temps. L’Écossaise avait été faite en huit jours, et Tancrède en un mois.

Ce fut au milieu de ces occupations et de ces amusements que M. Titon du Tillet, ancien maître d’hôtel ordinaire de la reine, âgé de quatre-vingt-cinq ^ans, lui recommanda la petite nièce du grand Corneille, qui, étant absolument sans fortune, était abandonnée de tout le monde. C’est ce même Titon du Tillet qui, aimant passionnément les beaux-arts sans les cultiver, fit élever, avec de grandes dépenses, un Parnasse en bronze où l’on voit les figures de quelques poètes et de quelques musiciens français. Ce monument est dans la bibliothèque du roi de France. Il avait élevé Mlle Corneille chez lui ; mais, voyant dépérir son bien, il ne pouvait plus rien faire pour elle, il imagina que M. de Voltaire pourrait se charger d’une demoiselle d’un

  1. L’Écossaise avait été jouée plus d’un mois avant Tancrède ; voyez tome V pages 399 et 489.