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LE PAUVRE DIABLE. 111

A cette fange où j'étais embourbé,

Je prends mon vol, je m'élève, je plane;

Je veux tftter des plus brillants emplois,

Être officier, signaler mes exploits,

Puis de Thémis endosser la soutane,

Et, moyennant vingt mille écus tournois,

Être appelé le tuteur de nos rois*.

J'ai des amis, je leur fais grande chère;

J'ai de l'esprit alors, et tous mes vers

Ont comme moi Tlieureux talent de plaire :

Je suis aimé des dames que je sers.

Pour compléter tant d'agréments divers,

On me propose un très-bon mariage ;

Mais les conseils de mes nouveaux amis,

Un grain d'amour ou de libertinage,

La vanité, le bon air, tout m'engage

Dans les filets de certaine Laïs

Que Belzébut fit naître en mon pays.

Et qui depuis a brillé dans Paris.

Elle dansait à ce tripot lubrique -

Que de l'Église un ministre impudique

(Dont Marion' fut servie assez mal)

Fit élever près du Palais-Royal.

« Avec éclat j'entretins donc ma belle ; Croyant l'aimer, croyant être aimé d'elle. Je prodiguais les vers et les bijoux ; Billets de change étaient mes billets doux : Je conduisais ma Laïs triomphante, Les soirs d'été, dans la lice éclatante De ce rempart, asile des amours, Par Outrequin rafraîchi tous les jours*.

��1. C'était la prétention des parlementaires. (G. A.)

2. L'Opéra, situé alors sur un emplacement voisin de la cour des Fontaines actuelle.

3. Marion de Lorme, courtisane du temps du cardinal de Richelieu, et qui fit une assez grande fortune avec ce ministre, qui était fort généreux. {Note de Vol- taire, 1771.)

4. La mode était alors de se promener en carrosse ou à pied sur les boulevards de Paris, que M. Outrequin avait soin de faire arroser tous les jours pendant l'été. Les jeunes gens se piquaient d'y faire paraître leurs maîtresses dans les voitures les plus brillantes. On y voyait des filles de l'Opéra couvertes de diamants; elles renouaient leurs cheveux avec des peignes où il y avait autant de diamants que de dents. Les boulevards étaient bordés de cafés, de boutiques de marionnettes, de

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