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LES SYSTEMES. 17!

« Pardonnez-moi, dit-il en lui parlant tout bas, Mais je pense, entre nous, que vous n'existez pas '.

��1. Spinosa, dans son fameux livre, si peu lu, ne parle que de Dieu; et on lui a reproché de no point connaître de Dieu. C'est qu'il n'a point séparé la Divinité du grand Tout qui existe par elle. C'est le Dieu do Straton, c'est le dieu des

stoïciens :

Jupiter est quodcumque vides, quocumque moveris.

LocAiN, Pharsale, ch. IX, v. 580.

C'est le dieu d'Aratus, dans le sens d'une philosophie audacieuse. « In Deo vivi- mus, movcniur et sumus. » {Actes des Apôtres, chap. xvii. v. 28.)

La marche de Spinosa est plus géométrique que celle de tous les philoso- phes de l'antiquité. C'est le premier athée qui ait procédé par lemmes et par théorèmes.

Bajlo, en prenant la doctrine de Spinosa à la lettre, en raisonnant d'après ses paroles, trouve cotte doctrine contradictoire et ridicule. En effet, qu'est-ce qu'un Dieu dont tous les êtres seraient des modifications, qui serait jardinier et plante, médecin et malade, homicide et mourant, destructeur et détruit?

Bayle paraît opposer à Spinosa une dialectique très-supérieure. Mais quel est le sort de toutes les disputes ? Jurieu regardait Bayle comme un compilateur d'idées plus dangereuses que celles de Spinosa; Arnauld et ses partisans tombaient sur Jurieu comme sur un fanatique absurde; les jésuites accusaient Arnauld d'être au fond un ennemi de la religion; et tout Paris voyait dans les jésuites les corrupteurs de la raison et de la morale, et des fabricateurs de lettres de cachet. Pour Spinosa, tout le monde en parlait, et personne ne le lisait.

Voici l'anal} se de tous ses principes :

Il ne peut exister qu'une substance; ce qui est par soi doit être un, et ne peut être limité. La substance doit donc être infinie.

Il est impossible qu'une substance en produise une autre, sans qu'il y ait quelque chose de commun entre elles. Or ce quelque chose de commun ne peut exister avant la substance ja-oduite : donc la création est impossible.

Une substance ne peut en faire une autre, puisque étant infinie par sa nature, un infini ne peut en créer un autre.

Il n'y a donc qu'un infini; donc tout est mode.

L'intelligence et la matière existent; donc l'intelligence et la matière entrent dans la nature de cet infini.

La substance étant infinie doit avoir une infinité d'attributs: donc l'infinité d'attributs est Dieu ; donc Dieu est tout.

Ce système a été assez réfuté par l'humain rénclon,par le subtil Lami, et sur- tout de nos jours par M. l'abbé de Gondillac, par M. l'abbé Pluquot.

Si d'illustres adversaires peuvent servir en quelque sorte à la gloire d'un auteur, on voit que jamais homme n'a été honoré d'ennemis plus respectables. 11 a été attaqué par deux cardinaux des plus savants et des plus ingénieux qu'ait eus la France, tous deux chéris à la cour, tous deux ministres et ambassadeurs à Rome. Le premier lui fait la guerre en beaux vers latins dans son Anti-Lucrèce ; le second, en beaux vers français, dans une épître instructive et agréable.

Voici quelques-uns des vers latins :

Dogmata complexus, partim vesana Stratonis Pestituit commenta, suisque orroribus auxit Omnigeni Spinosa Dei fabricator, et orbem Appellare Deum, ne quis Dens imperet orbi. Tamquam esset domus ipsa domum qui condidit, ausus. Sic rediviva novo sese munimine cinsit

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