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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/192

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« Je vous goûtai, dit-il, lorsque de Saint-Médard[1]
Vous crayonniez gaîment la cabale grossière,
Gambadant pour la grâce au coin d’un cimetière[2] ;
Les billets au porteur des chrétiens trépassés[3] ;
Les fils de Loyola sur la terre éclipsés.
Nous applaudîmes tous à votre noble audace,
Lorsque vous nous prouviez qu’un maroufle à besace,
Dans sa crasse orgueilleuse à charge au genre humain,
S’il eût bêché la terre, eût servi son prochain.
Jouissez d’une gloire avec peine achetée ;
Acceptez à la fin votre brevet d’athée.
— Ah ! vous êtes trop bon je sens au fond du cœur
Tout le prix qu’on doit mettre à cet excès d’honneur.
Il est vrai, j’ai raillé Saint-Médard et la bulle ;
Mais j’ai sur la nature encor quelque scrupule.
L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer
Que cette horloge existe[4], et n’ait point d’horloger[5].

  1. On connaît le fanatisme des convulsions de Saint-Médard, qui durèrent si
    longtemps dans la populace, et qui furent entretenues par le président Dubois, le conseiller Carré, et d’autres énergumènes. La terre a été mille fois inondée de superstitions plus affreuses, mais jamais il n’y en eut de plus sotte et de plus avilissante. L’histoire des billets de confession et l’expulsion des jésuites succédèrent bientôt à ces facéties. Observez surtout que nous avons une liste de miracles opérés par ces malheureux, signée de plus de cinq cents personnes. Les miracles
    d’Esculape, ceux de Vespasien, et d’Apollonius de Thyane, etc., n’ont pas été plus authentiques. (Note de Voltaire, 1772.)
  2. Voyez ci-dessus, page 109, une des notes de l’auteur sur le Pauvre Diable.
  3. Variante :

    Les Pâris, les Cyrans, illustres trépassés.


  4. Dès 1734, Voltaire avait fait cette comparaison. Trente ans plus tard, il
    reprochait à Maupertuis d’avoir dit qu’une horloge ne prouve point un horloger. (B.)
  5. Si une horloge prouve un horloger, si un palais annonce un architecte, comment en effet l’univers ne démontre-t-il pas une intelligence suprême ? Quelle plante, quel animal, quel élément, quel astre ne porte pas l’empreinte de celui que Platon appelait l’éternel géomètre ? Il me semble que le corps du moindre animal démontre une profondeur et une unité de dessein qui doivent à la fois nous ravir en admiration, et atterrer notre esprit. Non-seulement ce chétif insecte est une machine dont tous les ressorts sont faits exactement l’un pour l’autre ; non-seulement il est né, mais il vit par un art que nous ne pouvons ni imiter ni comprendre ; mais sa vie a un rapport immédiat avec la nature entière, avec tous les éléments, avec tous les astres dont la lumière se fait sentir à lui. Le soleil le réchauffe, et les rayons qui partent de Sirius, à quatre cents millions de lieues au delà du soleil, pénètrent dans ses petits yeux, selon toutes les règles de l’optique. S’il n’y a pas là immensité et unité de dessein qui démontrent un fabricateur intelligent, immense, unique, incompréhensible, qu’on nous démontre donc le contraire ; mais c’est ce qu’on n’a jamais fait. Platon, Newton, Locke, ont été frappés également de