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190 LA TACTIQUE. [3»^

Assassinent d'abord cinq ou six sentinelles; Puis, montant lestement aux murs de la cité, Où les pauvres bourgeois dormaient en sûreté, Portent dans leurs logis le fer avec les flammes, Poignardent les maris, couchent avec les dames. Écrasent les enfants, et, las de tant d'efforts. Boivent le vin d'autrui sur des monceaux de morts. Le lendemain matin, on les mène à l'église Rendre grâce au bon Dieu de leur noble entreprise. Lui chanter en latin qu'il est leur digne appui, Que dans la ville en feu l'on n'eût rien fait sans lui, Qu'on ne peut ni voler, ni violer son monde. Ni massacrer les gens, si Dieu ne nous seconde.

Étrangement surpris de cet art si vanté, Je cours chez monsieur Caille, encore épouvanté ; Je lui rends son volume, et lui dis en colère : « Allez, de Belzébut détestable libraire ! Portez votre Tactique au chevalier de Tôt ; Il fait marcher les Turcs au nom de Sabaoth. C'est lui qui, de canons couvrant les Dardanelles, A tuer les chrétiens * instruit les infidèles. Allez, adressez-vous à monsieur Romanzof, Aux vainqueurs tout sanglants de Bender et d'Azof ; A Frédéric surtout offrez ce bel ouvrage, Et soyez convaincu qu'il en sait davantage. Lucifer l'inspira bien mieux que votre auteur'-; Il est maître passé dans cet art plein d'horreur; Plus adroit meurtrier que Gustave et qu'Eugène ^ Allez; je ne crois pas que la nature humaine Sortit (je ne sais quand) des mains du Créateur Pour insulter ainsi l'éternel bienfaiteur. Pour montrer tant de rage et tant d'extravagance. L'homme, avec ses dix doigts, sans armes, sans défense,

i. Variante :

Dans leur propre science.

2. Il s'est élevé sur ces vers une grande dispute. Les uns ont pris ces vers pour un reproche, les autres pour une louange. Il est clair qu'on ne peut faire un plus grand éloge d'un guerrier qu'en le mettant au-dessus du prince Eugène et du grand Gustave. On a dit que vouloir condamner cette comparaison, c'était vouloir faire une querelle d'Allemand. {Note de Voltaire, 1775.)

3. Voyez la Correspondance avec Frédéric, fin 1773 et commencement de 1774. Le roi de l'russe fut vivement blessé de ces vers.

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