Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/24

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La nuit, le jour, veut être, à mon avis,
Tant qu’elle peut, la maîtresse au logis.
Il faut toujours que la femme commande ;
C’est là son goût : si j’ai tort, qu’on me pende.
Comme il parlait, tout le conseil conclut
Qu’il parlait juste, et qu’il touchait au but.
Robert absous baisait la main de Berthe,
Quand, de haillons et de fange couverte,
Au pied du trône on vit notre sans-dent
Criant justice, et la presse fendant.
On lui fait place, et voici sa harangue :
« Ô reine Berthe ! ô beauté dont la langue
Ne prononça jamais que vérité,
Vous dont l’esprit connaît toute équité,
Vous dont le cœur s’ouvre à la bienfaisance,
Ce paladin ne doit qu’à ma science
Votre secret ; il ne vit que par moi.
Il a juré mes beaux yeux et sa foi
Que j’obtiendrais de lui ce que j’espère :
Vous êtes juste, et j’attends mon salaire.
— Il est très-vrai, dit Robert, et jamais
On ne me vit oublier les bienfaits.
Mes vingt écus, mon cheval, mon bagage,
Et mon armure, étaient tout mon partage ;
Un moine noir a, par dévotion,
Saisi le tout quand j’assaillis Marthon :
Je n’ai plus rien ; et, malgré ma justice,
Je ne saurais payer ma bienfaitrice. »
La reine dit : « Tout vous sera rendu :
On punira votre voleur tondu.
Votre fortune, en trois parts divisée.
Fera trois lots justement compensés :
Les vingt écus à Marthon la lésée
Sont dus de droit, et pour ses œufs cassés ;
La bonne vieille aura votre monture ;
Et vous, Robert, vous aurez votre armure. »
La vieille dit : « Rien n’est plus généreux ;
Mais ce n’est pas son cheval que je veux :
Rien de Robert ne me plaît que lui-même ;
C’est sa valeur et ses grâces que j’aime.
Je veux régner sur son cœur amoureux ;
De ce trésor ma tendresse est jalouse.