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ÉPÎTRE XIX.


À MADAME LA MARÉCHALE DE VILLARS[1].


(1719)


Divinité que le ciel fit pour plaire,
Vous qu’il orna des charmes les plus doux,
Vous que l’Amour prend toujours pour sa mère,
Quoiqu’il sait bien que Mars est votre époux ;
Qu’avec regret je me vois loin de vous !
Et quand Sully[2] quittera ce rivage,
Où je devrais, solitaire et sauvage,
Loin de vos yeux vivre jusqu’au cercueil,
Qu’avec plaisir, peut-être trop peu sage,
J’irai chez vous, sur les bords de l’Arcueil,
Vous adresser mes vœux et mon hommage !
C’est là que je dirai tout ce que vos beautés
Inspirent de tendresse à ma muse éperdue :
Les arbres de Villars en seront enchantés,
Mais vous n’en serez point émue.
N’importe : c’est assez pour moi de votre vue,
Et je suis trop heureux si jamais l’univers
Peut apprendre un jour dans mes vers
Combien pour vos amis vous êtes adorable,
Combien vous haïssez les manèges des cours,
Vos bontés, vos vertus, ce charme inexprimable
Qui, comme dans vos yeux, règne en tous vos discours.
L’avenir quelque jour, en lisant cet ouvrage,
Puisqu’il est fait pour vous, en chérira les traits :
Cet auteur, dira-t-on, qui peignit tant d’attraits,
N’eut jamais d’eux pour son partage
Que de petits soupers où l’on buvait très-frais ;
Mais il mérita davantage.



  1. On sait que Voltaire, complimenté sur son Œdipe par la maréchale, tomba amoureux d’elle, mais qu’il n’en obtint que des égards. (G. A.)
  2. Le duc de Sully, à qui est adressée l’épître suivante.