Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lorsque Louis, qui, d’un esprit si ferme,
Brava la mort comme ses ennemis,
De ses grandeurs ayant subi le terme,
Vers sa chapelle allait à Saint-Denis,
J’ai vu son peuple, aux nouveautés en proie,
Ivre de vin, de folie, et de joie,
De cent couplets égayant le convoi,
Jusqu’au tombeau maudire encor son roi.
Vous avez tous connu, comme je pense,
Ce bon Régent qui gâta tout en France :
Il était né pour la société,
Pour les beaux-arts, et pour la volupté ;
Grand, mais facile, ingénieux, affable,
Peu scrupuleux, mais de crime incapable.
Et cependant, ô mensonge ! ô noirceur !
Nous avons vu la ville et les provinces,
Au plus aimable, au plus clément des princes,
Donner les noms… Quelle absurde fureur !
Chacun les lit ces archives d’horreur,
Ces vers impurs, appelés Philippiques[1],
De l’imposture effroyables chroniques ;
Et nul Français n’est assez généreux
Pour s’élever, pour déposer contre eux.
Que le mensonge un instant vous outrage,
Tout est en feu soudain pour l’appuyer :
La vérité perce enfin le nuage,
Tout est de glace à vous justifier.
Mais voulez-vous, après ce grand exemple,
Baisser les yeux sur de moindres objets ?
Des souverains descendons aux sujets ;
Des beaux esprits ouvrons ici le temple,
Temple autrefois l’objet de mes souhaits,
Que de si loin Desfontaines contemple[2],
Et que Gacon ne visita jamais.
Entrons : d’abord on voit la Jalousie
Du dieu des vers la fille et l’ennemie.

  1. Libelle diffamatoire en vers contre M. le duc d’Orléans, régent du royaume, composé par Lagrange-Chancel. On lui a pardonné. Bayle et Arnauld sont morts hors de leur patrie. (Note de Voltaire, 1752.)
  2. Variante :
    Que de si loin monsieur Bardus contemple,
    Et que Damis ne visita jamais.