Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/298

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L’aigle dans l’air, le taureau dans la plaine :
Tel est l’état de la nature humaine.
La Jalousie et tous ses noirs enfants
Sont au théâtre, au conclave, aux couvents.
Montez au ciel : trois déesses rivales[1]
Troublent le ciel, qui rit de leurs scandales.
Que faire donc ? à quel saint recourir ?
Je n’en sais point : il faut savoir souffrir.



  1. Après 1760, Voltaire rallongea cette épître comme il suit :
    Montez au ciel : trois déesses rivales
    Y vont porter leur haine et leurs scandales,
    Et le beau ciel de nous autres chrétiens
    Tout comme l’autre eut aussi ses vauriens.
    Ne voit-on pas, chez cet atrabilaire*
    Qui d’Olivier fut un temps secrétaire,
    Ange contre ange, Uriel et Nisroc
    Contre Ariac, Asmodée, et Moloc,
    Couvrant de sang les célestes campagnes,
    Lançant des rocs, ébranlant des montagnes ;
    De purs esprits qu’un fendant coupe en deux,
    Et du canon tiré de près sur eux :
    Et le Messie allant, dans une armoire,
    Prendre sa lance, instrument de sa gloire ?
    Vous voyez bien que la guerre est partout.
    Point de repos, cela me pousse à bout.
    Et quoi, toujours alerte, en sentinelle !
    Que devient donc la paix universelle
    Qu’un grand ministre en rêvant proposa,
    Et qu’Irénée** aux sifflets exposa,
    Et que Jean-Jacque orna de sa faconde,
    Quand il faisait la guerre à tout le monde *** ?
    Ô Patouillet ! ô Nonotte, et consorts !
    Ô mes amis, la paix est chez les morts !
    Chrétiennement mon cœur vous la souhaite.
    Chez les vivants où trouver sa retraite ?
    Où fuir ? que faire ? à quel saint recourir ? etc.

    * Milton, secrétaire d’Olivier Cromwell, et qui justifia le meurtre de Charles Ier dans le plus abominable et le plus plat libelle qu’on ait jamais écrit.

    ** Irénée Castel de Saint-Pierre. On prétend que Sully avait eu le même projet.

    *** J.-J. Rousseau a fait aussi un livre sur la paix universelle. Cette tirade avait été ajoutée à l’épître, dans le temps des querelles de Rousseau avec les gens de lettres.