Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/313

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Ce philosophe roi, ce divin Marc-Aurèle,
Des princes, des guerriers, des savants le modèle,
Quel roi, sous un tel joug osant se captiver,
Dans les sources du vrai sut jamais s’abreuver ?
Deux ou trois, tout au plus, prodiges dans l’histoire,
Du nom de philosophe ont mérité la gloire ;
Le reste est à vos yeux le vulgaire des rois,
Esclaves des plaisirs, fiers oppresseurs des lois,
Fardeaux de la nature, ou fléaux de la terre,
Endormis sur le trône, ou lançant le tonnerre.
Le monde, aux pieds des rois, les voit sous un faux jour ;
Qui sait régner sait tout, si l’on en croit la cour.
Mais quel est en effet ce grand art politique,
Ce talent si vanté dans un roi despotique ?
Tranquille sur le trône, il parle, on obéit ;
S’il sourit, tout est gai ; s’il est triste, on frémit.
Quoi ! régir d’un coup d’œil une foule servile,
Est-ce un poids si pesant, un art si difficile ?
Non ; mais fouler aux pieds la coupe de l’erreur,
Dont veut vous enivrer un ennemi flatteur,
Des prélats courtisans confondre l’artifice,
Aux organes des lois enseigner la justice ;
Du séjour doctoral chassant l’absurdité,
Dans son sein ténébreux placer la vérité,
Éclairer le savant, et soutenir le sage,
Voilà ce que j’admire, et c’est là votre ouvrage.
L’ignorance, en un mot, flétrit toute grandeur.
Du dernier roi d’Espagne[1] un grave ambassadeur
De deux savants anglais reçut une prière ;
Ils voulaient, dans l’école apportant la lumière,
De l’air qu’un long cristal enferme en sa hauteur,
Aller au haut d’un mont marquer la pesanteur[2].

  1. Cette aventure se passa à Londres, la première année du règne de Charles II, roi d’Espagne. (Note de Voltaire, 1756.)
  2. Il s’agissait de reconnaître la différence du poids de l’atmosphère au pied et au sommet de la montagne. Pour s’épargner l’embarras d’y transporter un baromètre, on se proposait d’employer un siphon, dont une des branches serait bouchée à l’extrémité supérieure ; le bas étant rempli de mercure, qui doit être de niveau dans les deux branches au pied de la montagne. Au sommet, le mercure se trouve plus haut dans la branche ouverte, et plus bas dans la branche fermée. La différence de niveau sert à connaître celle du poids de l’atmosphère. Plus la branche fermée (c’est-à-dire le tube qui renferme l’air de la montagne) est longue, plus l’expérience peut être exacte. Voilà pourquoi M. de Voltaire dit : un long cristal. Depuis