Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


ÉPÎTRE LVII.


AU ROI DE PRUSSE FRÉDÉRIC LE GRAND,
EN RÉPONSE À UNE LETTRE DONT IL HONORA L’AUTEUR,
À SON AVÉNEMENT À LA COURONNE.


1740[1]


Quoi ! vous êtes monarque, et vous m’aimez encore !
Quoi ! le premier moment de cette heureuse aurore
Qui promet à la terre un jour si lumineux,
Marqué par vos bontés, met le comble à mes vœux !
Ô cœur toujours sensible ! âme toujours égale !
Vos mains du trône à moi remplissent l’intervalle[2].

  1. Dans le Mercure de France, de septembre 1748, on trouve une traduction latine de cette épître. (B.)

    — Voyez, dans la Correspondance avec le roi de Prusse, les lettres de Frédéric des 6 et 12 juin 1740.

  2. Variante :
    Vos mains du trône à moi franchissent l’intervalle ;
    Et, philosophe roi, méprisant la grandeur,
    Vous m’écrivez en homme, et parlez à mon cœur.
    Vous savez qu’Apollon, le dieu de la lumière,
    N’a pas toujours du ciel éclairé la carrière :
    Dans un champêtre asile il passa d’heureux jours ;
    Les arts qu’il y fit naître y furent ses amours ;
    Il chanta la vertu. Sa divine harmonie
    Polit des Phrygiens le sauvage génie ;
    Solide en ses discours, sublime en ses chansons,
    Du grand art de penser il donna des leçons.
    Ce fut le siècle d’or ; car, malgré l’ignorance,
    L’âge d’or en effet est le siècle où l’on pense.
    Un pasteur étranger, attiré vers ces bords,
    Du dieu de l’harmonie entendit les accords ;
    À ses sons enchanteurs il accorda sa lyre ;
    Le dieu, qui l’approuva, prit le soin de l’instruire
    Mais le dieu se cachait, et le simple étranger
    Ne connut, n’admira, n’aima que le berger.
    Phébus quitta bientôt ces agréables plaines,
    Du char de la lumière il prit en main les rênes ;
    Mais le jour que sa course éclaira l’univers,
    Au lieu de se coucher dans le palais des mers,
    Déposant ses rayons et sa grandeur suprême,
    Il apparut encore à l’étranger qui l’aime,
    Lui parla de son art, art peu connu des dieux.
    Et ne l’oublia point en remontant aux cieux.
    Je suis cet étranger, ce pasteur solitaire ;
    Mais quel est l’Apollon qui m’échauffe et m’éclaire ?
    C’est à vous de le dire, ô vous qui l’admirez,