Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/355

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Qu’à l’étourdi qui ne le connaît pas.
Après dîner, l’indolente Glycère
Sort pour sortir, sans avoir rien à faire :
On a conduit son insipidité
Au fond d’un char, où, montant de côté,
Son corps pressé gémit sous les barrières
D’un lourd panier qui flotte aux deux portières.
Chez son amie au grand trot elle va,
Monte avec joie, et s’en repent déjà,
L’embrasse, et bâille ; et puis lui dit : « Madame,
J’apporte ici tout l’ennui de mon âme :
Joignez un peu votre inutilité
À ce fardeau de mon oisiveté. »
Si ce ne sont ses paroles expresses,
C’en est le sens. Quelques feintes caresses,
Quelques propos sur le jeu, sur le temps,
Sur un sermon, sur le prix des rubans,
Ont épuisé leurs âmes excédées :
Elles chantaient déjà, faute d’idées ;
Dans le néant leur cœur est absorbé,
Quand dans la chambre entre monsieur l’abbé,
Fade plaisant, galant escroc, et prêtre,
Et du logis pour quelques mois le maître.
Vient à la piste un fat en manteau noir,
Qui se rengorge et se lorgne au miroir.
Nos deux pédants sont tous deux sûrs de plaire ;
Un officier arrive, et les fait taire,
Prend la parole, et conte longuement
Ce qu’à Plaisance[1] eût fait son régiment
Si par malheur on n’eût pas fait retraite.
Il vous le mène au col de la Bouquette[2] ;
À Nice, au Var, à Digne il le conduit ;
Nul ne l’écoute, et le cruel poursuit.
Arrive Isis, dévote au maintien triste,
À l’air sournois : un petit janséniste,
Tout plein d’orgueil et de saint Augustin,

  1. Il paraît que cette petite pièce fut faite immédiatement après la guerre de 1741 ; guerre funeste, entreprise pour dépouiller l’héritière de la maison d’Autriche de la succession paternelle. (K.)
  2. La Bocheta ou Bocchetta, passage en Italie, dans les montagnes, du côté de Gênes. (B.)