Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/371

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Par ce mâle exercice augmente encor son être.
Travailler est le lot et l’honneur d’un mortel.
Le repos est, dit-on, le partage du ciel.
Je n’en crois rien du tout : quel bien imaginaire
D’être les bras croisés pendant l’éternité ?
Est-ce dans le néant qu’est la félicité ?
Dieu serait malheurcux s’il n’avait rien à faire ;
Il est d’autant plus Dieu qu’il est plus agissant.
Toujours, ainsi que vous, il produit quelque ouvrage :
On prétend qu’il fait plus, on dit qu’il se repent.
Il préside au scrutin qui, dans le Vatican,
Met sur un front ridé la coiffe à triple étage.
Du prisonnier Mahmoud il vous fait un sultan,
Il mûrit à Moka, dans le sable arabique[1],
Ce café nécessaire aux pays des frimas ;
Il met la fièvre en nos climats,
Et le remède en Amérique.
Il a rendu l’humain séjour
De la variété le mobile théâtre ;
Il se plut à pétrir d’incarnat et d’albâtre
Les charmes arrondis du sein de Pompadour,
Tandis qu’il vous étend un noir luisant d’ébène
Sur le nez aplati d’une dame africaine,
Qui ressemble à la nuit comme l’autre au beau jour.
Dieu se joue à son gré de la race mortelle ;
Il fait vivre cent ans le Normand Fontenelle,
Et trousse à trente-neuf mon dévot de Pascal.
Il a deux gros tonneaux d’où le bien et le mal
Descendent en pluie éternelle
Sur cent mondes divers et sur chaque animal.
Les sots, les gens d’esprit, et les fous, et les sages,
Chacun reçoit sa dose, et le tout est égal.
On prétend que de Dieu les rois sont les images.
Les Anglais pensent autrement ;
Ils disent en plein parlement
Qu’un roi n’est pas plus dieu que le pape infaillible.
Mais il est pourtant très-plausible
Que ces puissants du siècle un peu trop adorés,
À la faiblesse humaine ainsi que nous livrés,

  1. Ce vers et les trois suivants sont cités dans l’article Fièvre du Dictionnaire philosophique.