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ÉPÎTRE LXXXVII.


À MONSIEUR LE DUC DE RICHELIEU.
SUR LA CONQUÊTE DE MAHON[1].


Mai 1756


Depuis plus de quarante années
Vous avez été mon héros ;
J’ai présagé vos destinées.
Ainsi quand Achille à Scyros
Paraissait se livrer en proie
Aux jeux, aux amours, au repos,
Il devait un jour sur les flots
Porter la flamme devant Troie :
Ainsi quand Phryné dans ses bras
Tenait le jeune Alcibiade,
Phryné ne le possédait pas,
Et son nom fut dans les combats
Égal au nom de Miltiade.
Jadis les amants, les époux,
Tremblaient en vous voyant paraître.
Près des belles et près du maître
Vous avez fait plus d’un jaloux ;
Enfin c’est aux héros à l’être.
C’est rarement que dans Paris,
Parmi les festins et les ris,
On démêle un grand caractère ;
Le préjugé ne conçoit pas
Que celui qui sait l’art de plaire
Sache aussi sauver les États :
Le grand homme échappe au vulgaire ;
Mais lorsqu’aux champs de Fontenoy
Il sert sa patrie et son roi ;
Quand sa main des peuples de Gênes
Défend les jours et rompt les chaînes ;
Lorsque, aussi prompt que les éclairs,
Il chasse les tyrans des mers

  1. Voyez la lettre à Richelieu du 3 mai 1755.