Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/38

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Étendant une main, portant l’autre en arrière,
Le cou tendu, l’œil fixe, et le cœur palpitant,
D’une oreille attentive avec peine écoutant.
D’abord elle entendit un tendre et doux murmure,
Des mots entrecoupés, des soupirs languissants.
« Ma mère a du chagrin, dit-elle entre ses dents,
Et je dois partager les peines qu’elle endure. »
Elle approche : elle entend ces mots pleins de douceur :
« André, mon cher André, vous faites mon bonheur ! »
Isabelle à ces mots pleinement se rassure.
« Ma tendresse, dit-elle, a pris trop de souci ;
Ma mère est fort contente, et je dois l’être aussi. »
Isabelle, à la fin, dans son lit se retire,
Ne peut fermer les yeux, se tourmente et soupire.
« André fait des heureux ! et de quelle façon[1] ?
Que ce talent est beau ! mais comment s’y prend-on ? »
Elle revit le jour avec inquiétude.
Son trouble fut d’abord aperçu par Gertrude.
Isabelle était simple, et sa naïveté
Laissa parler enfin sa curiosité.
« Quel est donc cet André, lui dit-elle, madame,
Qui fait, à ce qu’on dit, le bonheur d’une femme ? »
Gertrude fut confuse ; elle s’aperçut bien
Qu’elle était découverte, et n’en témoigna rien.
Elle se composa, puis répondit : « Ma fille,
Il faut avoir un saint pour toute une famille ;
Et, depuis quelque temps, j’ai choisi saint André.
Je lui suis très-dévote, il m’en sait fort bon gré ;
Je l’invoque en secret, j’implore ses lumières ;
Il m’apparaît souvent, la nuit, dans mes prières :
C’est un des plus grands saints qui soient en paradis. »
À quelque temps de là, certain monsieur Denis,
Jeune homme bien tourné, fut épris d’Isabelle.
Tout conspirait pour lui : Denis fut aimé d’elle,
Et plus d’un rendez-vous confirma leur amour.
Gertrude en sentinelle entendit à son tour
Les belles oraisons, les antiennes charmantes,
Qu’Isabelle entonnait quand ses mains caressantes

  1. Dans une première édition, au lieu de ce vers et du suivant, on en lit un seul qui est sans rime :
    Songeant à cet André qui rend les gens heureux. (B.)