Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/383

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La voix, l’esprit, la grâce, la figure,
Le sentiment, n’est point encore assez ;
Vous nous rendez ces prodiges d’Athène
Que le génie étalait sur la scène.
Quand dans les arts de l’esprit et du goût
On est sublime, on est égal à tout[1].
Que dis-je ? on règne, et d’un peuple fidèle
On est chéri, surtout si l’on est belle.
Ô ma Daphné ! qu’un destin si flatteur
Est différent du destin d’un auteur !
Je crois vous voir sur ce brillant théâtre
Où tout Paris[2], de votre art idolâtre,
Porte en tribut son esprit et son cœur.
Nous récitez des vers plats et sans grâce.
Vous leur donnez la force et la douceur ;
D’un froid récit vous réchauffez la glace ;
Les contre-sens deviennent des raisons.
Vous exprimez par vos sublimes sons,
Par vos beaux yeux, ce que l’auteur veut dire ;
Vous lui donnez tout ce qu’il croit avoir ;
Vous exercez un magique pouvoir
Qui fait aimer ce qu’on ne saurait lire.
On bat des mains, et l’auteur ébaudi
Se remercie, et pense être applaudi.
La toile tombe, alors le charme cesse.
Le spectateur apportait des présents
Assez communs de sifflets et d’encens ;
Il fait deux lots quand il sort de l’ivresse,
L’un pour l’auteur, l’autre pour son appui :
L’encens pour vous, et les sifflets pour lui.

    A*** C*** : les initiales A. C. désignaient Abraham Chaumeix ; cependant maître Abraham est immolé dans les vers 101-102. Ce fut d’Alembert (voyez ses lettres des 22 septembre et du 18 octobre 1760) qui engagea Voltaire à donner à Mlle Clairon un monument marqué de reconnaissance pour le succès de Tancrède. Malgré la date du 1er janvier qu’elle porte dans la première édition, elle n’était pas encore achevée le 11 de ce mois. Voltaire recommandait à d’Argental, le 16 février 1761, que le Pantaodai restât un ouvrage de société. Dans une édition faite à Paris on supprima les vers contre Omer Joly de Fleury ; cette suppression contrariait beaucoup Voltaire (voyez sa lettre à Damilaville, du 8 mai 1761). (B.)

  1. Dans l’épître xcv, qu’il adressa, en 1765, à Mlle Clairon, Voltaire dit :
    Le sublime en tout genre est le don le plus rare.
  2. Le traducteur a mis Paris au lieu de Londres. (Note de Voltaire, 1764.)