Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/408

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Siècle de grands talents bien plus que de lumière,
Dont Corneille, en bronchant, sut ouvrir la carrière.
Je vis le jardinier de ta maison d’Auteuil,
Qui chez toi, pour rimer, planta le chèvre-feuil[1].
Chez ton neveu Dongois[2] je passai mon enfance ;
Bon bourgeois qui se crut un homme d’importance.
Je veux récrire un mot sur tes sots ennemis,
À l’hôtel Rambouillet[3] contre toi réunis,
Qui voulaient, pour loyer de tes rimes sincères,
Couronné de lauriers t’envoyer aux galères.
Ces petits beaux esprits craignaient la vérité,
Et du sel de tes vers la piquante âcreté.
Louis avait du goût, Louis aimait la gloire :
Il voulut que ta muse assurât sa mémoire ;
Et, satirique heureux, par ton prince avoué,
Tu pus censurer tout, pourvu qu’il fût loué.
Bientôt les courtisans, ces singes de leur maître,
Surent tes vers par cœur, et crurent s’y connaître.
On admira dans toi jusqu’au style un peu dur
Dont tu défiguras le vainqueur de Namur[4],
Et sur l’amour de Dieu ta triste psalmodie[5]
Du haineux janséniste en son temps applaudie ;
Et l’Équivoque même, enfant plus ténébreux,
D’un père sans vigueur avorton malheureux.

  1.  : Antoine, gouverneur de mon jardin d’Auteuil,
    Qui diriges chez moi l’if et le chèvre-feuil.
    La maison était fort vilaine, et le jardin aussi. (Note de Voltaire, 1769.)

    — Les deux vers que Voltaire cite dans cette note sont les premiers de l’épître XI de Boileau à son jardinier ; et, en les citant, Voltaire a sans doute voulu faire voir que ce n’était pas lui qui avait pris la licence d’écrire chèvre-feuil. (B.)

  2. Boileau a dit quelque part : M. Dongois, mon illustre neveu. C’était un greffier du parlement, qui demeurait dans la cour du Palais avec toute la famille de Boileau. (Note de Voltaire, 1774.)
  3. L’hôtel Rambouillet se déchaîna longtemps contre Boileau, qui avait accablé dans ses satires Chapelain, très-estimé et très-recherché dans cette maison, mauvais poëte, à la vérité, mais homme fort savant, et, ce qui est étonnant, bon critique ; Cotin, non moins plat poëte, et de plus plat prédicateur, mais homme de lettres et aimable dans la société ; d’autres encore, dont aucun ne lui avait donné le moindre sujet de plainte. Il n’en est pas de même de notre auteur : il n’a jamais rendu ridicules que ceux qui l’ont attaqué ; et en cela il a très-bien fait, et nous l’exhortons à continuer. (Id., 1773.)
  4. Ce vers est déjà dans le Temple du Goût ; voyez tome VIII, page 578.
  5. Variante :
    Et sur l’amour de Dieu l’ennuyeuse homélie
    Qu’enfanta tristement l’hiver de ton génie.