Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/411

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Je fais au monde encore entendre mes accents.
Du fond de mes déserts, aux malheureux propice,
Pour Sirven[1] opprimé je demande justice :
Je l’obtiendrai sans doute ; et cette même main,
Qui ranima la veuve et vengea l’orphelin,
Soutiendra jusqu’au bout la famille éplorée
Qu’un vil juge a proscrite, et non déshonorée.
Ainsi je fais trembler, dans mes derniers moments,
Et les pédants jaloux, et les petits tyrans.
J’ose agir sans rien craindre, ainsi que j’ose écrire.
Je fais le bien que j’aime, et voilà ma satire.
Je vous ai confondus, vils calomniateurs,
Détestables cagots, infâmes délateurs ;
Je vais mourir content. Le siècle qui doit naître
De vos traits empestés me vengera peut-être.
Oui, déjà Saint-Lambert[2], en bravant vos clameurs,
Sur ma tombe qui s’ouvre a répandu des fleurs ;
Aux sons harmonieux de son luth noble et tendre,
Mes mânes consolés chez les morts vont descendre.
Nous nous verrons, Boileau : tu me présenteras
Chapelain, Scudéri, Perrin, Pradon, Coras.
Je pourrais t’amener, enchaînés sur mes traces[3],
Nos Zoïles honteux, successeurs des Garasses[4].
Minos entre eux et moi va bientôt prononcer :
Des serpents d’Alecton nous les verrons fesser :
Mais je veux avec toi baiser dans l’Élysée
La main qui nous peignit l’épouse de Thésée.
J’embrasserai Quinault, en dusses-tu crever ;

  1. Sirven est cet homme si innocent et si connu dont M. de Voltaire prit la défense. Les juges l’avaient condamné, lui et sa femme, au dernier supplice. Le procureur fiscal de cette juridiction, nommé Trinquet, donna les conclusions suivantes : « Je requiers que l’accusé, duement atteint et convaincu de parricide, soit banni pour dix ans. » Ce Trinquet était ivre sans doute quand il conclut ainsi ; mais les juges ! Et c’est de pareils imbéciles barbares que dépend la vie des hommes ! À la fin M. de Voltaire est venu à bout de faire rendre justice à cette famille. (Note de Voltaire, 1773.)
  2. M. de Saint-Lambert, dans son excellent poëme des quatre Saisons, (Id., 1769.)
  3. Variante :
    Nonotte et Jean Fréron, successeurs des Garasses,
    De chardons couronnés, paraîtront sur mes traces.
  4. Garasse, jésuite fameux par l’excès de ses bêtises et de ses fureurs. Il fut le délateur et le calomniateur de Théophile, auquel il pensa en coûter la vie, dans un temps où il y avait beaucoup de juges aussi absurdes que Garasse. (Note de Voltaire, 1773.)