Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/439

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Lorsque dans son grenier certain Larcher réclame[1]
La loi qui prostitue et sa fille et sa femme,
Qu’il veut dans Notre-Dame établir son sérail,
On lui dit qu’à Paris plus d’un gentil bercail
Est ouvert aux travaux d’un savant antiquaire,
Mais que jamais la loi n’ordonna l’adultère.
Alors on examine ; et le public instruit
Se moque de Larcher, qui jure en son réduit.
L’abbé François[2] écrit ; le Léthé sur ses rives
Reçoit avec plaisir ses feuilles fugitives.
Tancrède en vers croisés fait-il bâiller Paris ?
On m’ennuie à mon tour des plus pesants écrits ;
À Danchet, à Brunet[3], le Pont-Neuf me compare ;
On préfère à mes vers Crébillon le barbare[4].

  1. Larcher, répétiteur au collège Mazarin. Il soutint opiniâtrement que dans la grande ville de Babylone toutes les femmes et les filles de la cour étaient obligées par la loi de se prostituer une fois dans leur vie au premier venu, pour de l’argent ; et cela dans le temple de Vénus, quoique Vénus fût inconnue à Babylone. Il trouvait fort mauvais qu’on ne crût pas à cette impertinence, puisque Hérodote l’avait dite expressément. Le même Larcher disputa fortement sur le grand serpent Ophionée, sur le bouc de Mendès qui couchait avec les dames hébraïques : il traita notre auteur de vilain athée pour avoir dit que la Providence envoie la peste et la famine sur la terre. Il y a encore dans la poussière des collèges de ces cuistres qui semblent être du xve siècle. Notre auteur ne fit que se moquer de ce Larcher, et il fut secondé de tout Paris, à qui il le fit connaître. (Note de Voltaire, 1771.)
  2. Il y a en effet un abbé nommé François, des ouvrages duquel le fleuve Léthé s’est chargé entièrement. C’est un pauvre imbécile qui a fait un livre en deux volumes contre les philosophes, livre que personne ne connaît ni ne connaîtra. (Id., 1771.)
  3. Danchet est un de ces poètes médiocres qu’on ne connaît plus ; il a fait quelques tragédies et quelques opéras. Pour Brunet, nous ne savons qui c’est, à moins que ce ne soit un nommé M. Le Brun, qui avait fait autrefois une ode pour engager notre auteur à prendre chez lui Mlle Corneille. Quelqu’un lui dit méchamment qu’on avait voulu recevoir Mlle Corneille, mais point son ode, qui ne valait rien. Alors M. Le Brun écrivit contre le même homme auquel il venait de donner tant de louanges. Cela est dans l’ordre ; mais il paraît dans l’ordre aussi qu’on se moque de lui. (Id., 1771.) — Voyez la note, tome IX, page 544.
  4. Nous ne savons si par barbare on entend ici la barbarie d’Atrée, ou la barbarie du style, qu’on a reprochée à Crébillon ; c’est peut-être l’un et l’autre. Mais ce n’est pas parce qu’Atrée est trop cruel qu’on ne joue point cette pièce, et qu’elle passe pour mauvaise chez tous les gens de goût ; car dans Rodogune, Cléopâtre est plus cruelle encore, et cette atrocité même semblerait devoir être plus révoltante dans une femme que dans un homme ; cependant cette fin de la tragédie de Rodogune est un chef-d’œuvre du théâtre, et réussira toujours.

    Nous trouvons dans le Mercure de novembre 1770, p. 83, les réflexions les plus judicieuses qu’on ait encore faites sur Atrée ; les voici :


    « En général, les vengeances, pour être intéressantes au théâtre, doivent être promptes, subites, violentes ; il faut toujours frapper de grands coups sur la scène :