Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/45

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Et va me vendre à son satrape.
Ma bonne tante, en glapissant,
Et la poitrine déchirée,
S’en retourne au port du Pirée
Raconter au premier passant
Que sa Téone est égarée ;
Que de Lydie un armateur,
Un vieux pirate, un revendeur
De la féminine denrée,
S’en est allé livrer ma fleur
Au commandant de la contrée.
Pensez-vous alors qu’Agathon
S’amusât à verser des larmes,
À me peindre avec un crayon,
À chanter sa perte et mes charmes
Sur un petit psaltérion ?
Pour me ravoir il prit les armes :
Mais n’ayant pas de quoi payer
Seulement le moindre estafier,
Et se fiant sur sa figure,
D’une fille il prit la coiffure,
Le tour de gorge et le panier.
Il cacha sous son tablier
Un long poignard et son armure,
Et courut tenter l’aventure
Dans la barque d’un nautonier.
Il arrive au bord du Méandre
Avec son petit attirail.
À ses attraits, à son air tendre,
On ne manqua pas de le prendre
Pour une ouaille du bercail
Où l’on m’avait déjà fait vendre ;
Et, dès qu’à terre il put descendre,
On l’enferma dans mon sérail.
Je ne crois pas que de sa vie
Une fille ait jamais goûté
Le quart de la félicité
Qui combla mon âme ravie
Quand, dans un sérail de Lydie,
Je vis mon Grec à mon côté,
Et que je pus en liberté
Récompenser la nouveauté