Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/462

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À toi-même rendu, tu n’instruis que les sages ;
Tu n’as plus à répondre aux discours de Paris.
Je crois voir à la fois Athène et Sybaris
Transportés dans les murs embellis par la Seine :
Un peuple aimable et vain, que son plaisir entraîne,
Impétueux, léger, et surtout inconstant,
Qui vole au moindre bruit, et qui tourne à tout vent,
Y juge les guerriers, les ministres, les princes,
Rit des calamités dont pleurent les provinces,
Clabaude le matin contre un édit du roi,
Le soir s’en va siffler quelque moderne, ou moi,
Et regrette à souper, dans ses turlupinades,
Les divertissements du jour des barricades.
Voilà donc ce Paris ! voilà ces connaisseurs
Dont on veut captiver les suffrages trompeurs !
Hélas ! au bord de l’Inde autrefois Alexandre
Disait, sur les débris de cent villes en cendre :
« Ah ! qu’il m’en a coûté quand j’étais si jaloux,
Railleurs Athéniens, d’être loué par vous ! »
Ton esprit, je le sais, ta profonde sagesse,
Ta mâle probité n’a point cette faiblesse.
À d’éternels travaux tu t’étais dévoué
Pour servir ton pays, non pour être loué.
Caton, dans tous les temps gardant son caractère,
Mourut pour les Romains sans prétendre à leur plaire.
La sublime vertu n’a point de vanité.
C’est dans l’art dangereux par Phébus inventé.
Dans le grand art des vers et dans celui d’Orphée,
Que du désir de plaire une muse échauffée
Du vent de la louange excite son ardeur.
Le plus plat écrivain croit plaire à son lecteur.
L’amour-propre a dicté sermons et comédies.
L’éloquent Montazet[1], gourmandant les impies,
N’a point été fâché d’être applaudi par eux :
Nul mortel, en un mot, ne veut être ennuyeux.

  1. L’archevêque de Lyon venait de publier une instruction pastorale contre l’incrédulité : les incrédules en dirent beaucoup de bien, parce qu’il n’y avait aucune de ces injures qu’un évêque qui a du goût ne doit jamais se permettre, et que d’ailleurs il n’y assurait pas que tout magistrat qui ne brûle pas les philosophes de leur vivant est éternellement brûlé après sa mort : ce que la Sorbonne et les évêques de séminaire ne manquent jamais de dire dans leurs libelles sacrés. (K.) — Voltaire n’a pas toujours parlé respectueusement de Montazet.