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SATIRES[1].




LE BOURBIER.


(1714[2])


Pour tous rimeurs, habitants du Parnasse,
De par Phébus il est plus d’une place :
Les rangs n’y sont confondus comme ici,

  1. M. de Voltaire a fait des satires comme Boileau, et comme Boileau il a peut-être parlé trop souvent de ses ennemis personnels. Mais les ennemis de Boileau n’étaient que ceux du bon goût, et les ennemis de Voltaire furent ceux du genre humain. L’un fut injuste à l’égard de Quinault, auquel il ne pardonna jamais ni la mollesse aimable de sa versification, ni cette galanterie qui blessait l’austérité et la justesse de son goût. L’autre fut injuste envers J.-J. Rousseau, mais Rousseau s’était déclaré l’ennemi des lumières et de la philosophie. Il paraissait vouloir attirer la persécution sur les mêmes hommes qui avaient pris sa défense, lorsque lui-même en avait été l’objet. Mais M. de Voltaire fut de bonne foi ainsi que Boileau. Ils n’ont méconnu, l’un dans Quinault, l’autre dans Rousseau, que des talents pour lesquels leur caractère et leur esprit ne leur donnaient aucun attrait naturel. Si M. de Voltaire a pris quelquefois le ton violent et presque cynique de Juvénal, c’est qu’il avait à punir, comme lui, le vice et l’hypocrisie. (K.)
  2. Cette pièce, qui n’était pas dans les éditions de Kehl, est quelquefois intitulée le Parnasse ; et ce fut à son occasion que Chaulieu adressa à Voltaire l’épître qui commence ainsi :

    Que j’aime ta noble audace,
    Arouet, qui d’un plein saut
    Escalades le Parnasse,
    Et tout à coup, près d’Horace,
    Sur le sommet le plus haut,
    Brigues la première place, etc.

    Les éditeurs de Chaulieu ne savaient pas quelle était la pièce de Voltaire à laquelle se rapportait celle de l’abbé. Cependant le Bourbier ou le Parnasse a souvent été imprimé, savoir : dans les Nouvelles Littéraires, 1715, tome V, page 151 ; à la suite d’une édition de la Ligue (Henriade), Amsterdam, 1724, in-12, page 194 ; dans le Voltariana, page 270 ; dans Mon Petit Portefeuille, 1774, tome II, page 121 ; dans l’Histoire littéraire de Voltaire, par Luchet, tome Ier, page 26 ; dans l’Almanach littéraire ou Étrennes d’Apollon pour 1793, page 5 ; Mme  Dunoyer l’avait aussi inséré dans ses Lettres galantes. Voltaire avait composé cette satire de dépit de voir son Ode sur le vœu de Louis XIII (voyez tome VIII, page 407) jugée indigne du prix que Houdard de Lamotte fit adjuger à l’abbé du Jarry. Ce fut peut-être le même sentiment de dépit qui, longtemps après le Bourbier, dicta à Voltaire le vers contre Lamotte qu’on lit dans l’exorde de la Pucelle (voyez tome IX, page 26). Voltaire publia aussi des observations sur l’ode de du Jarry. On lui a même attribué une épigramme à ce propos (voyez dans les Poésies mêlées,vii). (B.) — Quand le Bourbier parut, le poëte avait vingt ans (le concours académique avait été clos en 1714). L’attaque était sanglante, elle s’adressait à un homme estimé, qui avait des amis, si ses idées et sa poétique lui avaient mérité des adversaires. Le Bourbier fit scandale : il indigna, il amusa, il attira l’attention sur son auteur... Voltaire, dans sa Lettre aux auteurs du Nouvelliste du Parnasse, juin 1731, convient de ces premiers écarts de sa verve, qu’excusent l’imprudence de l’âge et le ressentiment d’une injustice, mais qui ne seront pas, dit-il, ceux de son âge mûr : « Je me suis imposé la loi de ne jamais tomber dans ce détestable genre d’écrire.» (G. D.)