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DES MIRACLES.

affirmé l’accomplissement de ce prodige, s’il en était revenu quelque chose au couvent.

Nous croyons sans difficulté aux vrais miracles opérés dans notre sainte religion, et chez les Juifs, dont la religion prépara la nôtre. Nous ne parlons ici que des autres nations, et nous ne raisonnons que suivant les règles du bon sens, toujours soumises à la révélation.

Quiconque n’est pas illuminé par la foi ne peut regarder un miracle que comme une contravention aux lois éternelles de la nature. Il ne lui paraît pas possible que Dieu dérange son propre ouvrage ; il sait que tout est lié dans l’univers par des chaînes que rien ne peut rompre. Il sait que Dieu étant immuable, ses lois le sont aussi ; et qu’une roue de la grande machine ne peut s’arrêter, sans que la nature entière soit dérangée.

Si Jupiter, en couchant avec Alcmène, fait une nuit de vingt-quatre heures, lorsqu’elle devait être de douze, il est nécessaire que la terre s’arrête dans son cours, et reste immobile douze heures entières. Mais comme les mêmes phénomènes du ciel reparaissent la nuit suivante, il est nécessaire aussi que la lune et toutes les planètes se soient arrêtées. Voilà une grande révolution dans tous les orbes célestes en faveur d’une femme de Thèbes en Béotie.

Un mort ressuscite au bout de quelques jours ; il faut que toutes les parties imperceptibles de son corps qui s’étaient exhalées dans l’air, et que les vents avaient emportées au loin, reviennent se mettre chacune à leur place ; que les vers et les oiseaux, ou les autres animaux nourris de la substance de ce cadavre, rendent chacun ce qu’ils lui ont pris. Les vers engraissés des entrailles de cet homme auront été mangés par des hirondelles ; ces hirondelles, par des pies-grièches ; ces pies-grièches, par des faucons ; ces faucons, par des vautours. Il faut que chacun restitue précisément ce qui appartenait au mort, sans quoi ce ne serait plus la même personne. Tout cela n’est rien encore, si l’âme ne revient dans son hôtellerie.

Si l’Être éternel, qui a tout prévu, tout arrangé, qui gouverne tout par des lois immuables, devient contraire à lui-même en renversant toutes ses lois, ce ne peut être que pour l’avantage de la nature entière. Mais il paraît contradictoire de supposer un cas où le créateur et le maître de tout puisse changer l’ordre du monde pour le bien du monde. Car, ou il a prévu le prétendu besoin qu’il en aurait, ou il ne l’a pas prévu. S’il l’a prévu, il y a mis ordre dès le commencement : s’il ne l’a pas prévu, il n’est plus Dieu.