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CHAPITRE X.

les autres villes occidentales des autres pays. Nous cédons la place au saint-Père ; nous nous démettons de la domination sur toutes ces provinces ; nous nous retirons de Rome, et transportons le siège de notre empire en la province de Byzance, n’étant pas juste qu’un empereur terrestre ait le moindre pouvoir dans les lieux où Dieu a établi le chef de la religion chrétienne.

« Nous ordonnons que cette nôtre donation demeure ferme jusqu’à la fin du monde, et que si quelqu’un désobéit à notre décret, nous voulons qu’il soit damné éternellement, et que les apôtres Pierre et Paul lui soient contraires en cette vie et en l’autre, et qu’il soit plongé au plus profond de l’enfer avec le diable. Donné sous le consulat de Constantin et de Gallicanus. »

Croira-t-on un jour qu’une si ridicule imposture, très-digne de Gille et de Pierrot, ou de Nonotte, ait été généralement adoptée pendant plusieurs siècles ? Croira-t-on qu’en 1478 on brûla dans Strasbourg des chrétiens qui osaient douter que Constantin eût cédé l’empire romain au pape ?

Constantin donna en effet, non au seul évêque de Rome, mais à la cathédrale qui était l’église de Saint-Jean, mille marcs d’or, et trente mille d’argent, avec quatorze mille sous de rente, et des terres dans la Calabre, Chaque empereur ensuite augmenta ce patrimoine. Les évêques de Rome en avaient besoin. Les missions qu’ils envoyèrent bientôt dans l’Europe païenne, les évêques chassés de leurs sièges, auxquels ils donnèrent un asile, les pauvres qu’ils nourrirent, les mettaient dans la nécessité d’être très-riches. Le crédit de la place, supérieur aux richesses, fit bientôt du pasteur des chrétiens de Rome l’homme le plus considérable de l’Occident. La piété avait toujours accepté ce ministère ; l’ambition le brigua. On se disputa la chaire ; il y eut deux antipapes dès le milieu du ive siècle ; et le consul Prétextat, idolâtre, disait, en 466 : « Faites-moi évêque de Rome, et je me fais chrétien. »

Cependant cet évêque n’avait d’autre pouvoir que celui que peut donner la vertu, le crédit, ou l’intrigue dans des circonstances favorables. Jamais aucun pasteur de l’Église n’eut la juridiction contentieuse, encore moins les droits régaliens. Aucun n’eut ce qu’on appelle jus terrendi, ni droit de territoire, ni droit de prononcer do, dico, addico. Les empereurs restèrent les juges suprêmes de tout, hors du dogme. Ils convoquèrent les conciles. Constantin, à Nicée, reçut et jugea les accusations que les évêques portèrent les uns contre les autres. Le titre de souverain pontife resta même attaché à l’empire.