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CHAPITRE XIII.

le courage de donner des lois, sa politique prenait une autorité qui assurait celle de Pepin ; et ce prince, pour mieux jouir de ce qui ne lui était pas dû, laissait au pape des droits qui ne lui appartenaient pas.

Hugues Capet en France, et Conrad en Allemagne, firent voir depuis qu’une telle excommunication n’est pas une loi fondamentale.

Cependant l’opinion, qui gouverne le monde, imprima d’abord dans les esprits un si grand respect pour la cérémonie faite par le pape à Saint-Denis qu’Éginhard, secrétaire de Charlemagne, dit en termes exprès que « le roi Hilderic fut déposé par ordre du pape Étienne ».

Tous ces événements ne sont qu’un tissu d’injustice, de rapine, de fourberie. Le premier des domestiques d’un roi de France dépouillait son maître Hilderic III, l’enfermait dans le couvent de Sainl-Bertin, tenait en prison le fils de son maître dans le couvent de Fontenelle en Normandie ; un pape venait de Rome consacrer ce brigandage.

On croirait que c’est une contradiction que ce pape fût venu en France se prosterner aux pieds de Pepin, et disposer ensuite de la couronne ; mais non : ces prosternements n’étaient regardés alors que comme le sont aujourd’hui nos révérences ; c’était l’ancien usage de l’Orient. On saluait les évêques à genoux ; les évêques saluaient de même les gouverneurs de leurs diocèses. Charles, fils de Pépin, avait embrassé les pieds du pape Étienne à Saint-Maurice en Valais ; Étienne embrassa ceux de Pepin. Tout cela était sans conséquence. Mais peu à peu les papes attribuèrent à eux seuls cette marque de respect. On prétend que le pape Adrien Ier fut celui qui exigea qu’on ne parût jamais devant lui sans lui baiser les pieds[1]. Les empereurs et les rois se soumirent depuis, comme les autres, à cette cérémonie, qui rendait la religion romaine plus vénérable à la populace, mais qui a toujours indigné tous les hommes d’un ordre supérieur.

On nous dit que Pépin passa les monts en 754 ; que le Lombard Astolfe, intimidé par la seule présence du Franc, céda aussitôt au pape tout l’exarchat de Ravenne ; que Pépin repassa les monts, et qu’à peine s’en fut-il retourné qu’Astolfe, au lieu de donner Ravenne au pape, mit le siège devant Rome. Toutes les démarches de ces temps-là étaient si irrégulières qu’il se pourrait à toute force que Pépin eût donné aux papes l’exarchat de

  1. Voyez la note des éditeurs de Kehl, tome IV du Théâtre, page 502, et la pièce de vers intitulée la Mule du Pape, tome IX, page 573.