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DE FRÉDÉRIC BARBEROUSSE.

promit de restituer ce qui appartenait au saint-siége ; cependant les terres de la comtesse Mathilde ne furent pas spécifiées. L’empereur fit une trêve de six ans avec les villes d’Italie. Milan, qu’on rebâtissait, Pavie, Brescia, et tant d’autres, remercièrent le pape de leur avoir rendu cette liberté précieuse pour laquelle elles combattaient ; et le saint-père, pénétré d’une joie pure, s’écriait : « Dieu a voulu qu’un vieillard et qu’un prêtre triomphât sans combattre d’un empereur puissant et terrible. »

Il est très-remarquable que, dans ces longues dissensions, le pape Alexandre III, qui avait fait souvent cette cérémonie d’excommunier l’empereur, n’alla jamais jusqu’à le déposer. Cette conduite ne prouve-t-elle pas non-seulement beaucoup de sagesse dans ce pontife, mais une condamnation générale des excès de Grégoire VII ?

(1190) Après la pacification de l’Italie, Frédéric Barberousse partit pour les guerres des croisades, et mourut, pour s’être baigné dans le Cydnus, de la maladie dont Alexandre le Grand avait échappé autrefois si difficilement pour s’être jeté tout en sueur dans ce fleuve. Cette maladie était probablement une pleurésie[1].

Frédéric fut de tous les empereurs celui qui porta le plus loin ses prétentions. Il avait fait décider à Bologne, en 1158, par les docteurs en droit, que l’empire du monde entier lui appartenait, et que l’opinion contraire était une hérésie. Ce qui était plus réel, c’est qu’à son couronnement dans Rome le sénat et le peuple lui prêtèrent serment de fidélité : serment devenu inutile quand le pape Alexandre III triompha de lui dans le congrès de Venise. L’empereur de Constantinople, Isaac l’Ange, ne lui donnait que le titre d’avocat de l’Église romaine ; et Rome fit tout le mal qu’elle put à son avocat.

Pour le pape Alexandre, il vécut encore quatre ans dans un repos glorieux, chéri dans Rome et dans l’Italie. Il établit dans un nombreux concile que, désormais, pour être élu pape canoniquement, il suffirait d’avoir les deux tiers des voix des seuls cardinaux ; mais cette règle ne put prévenir les schismes qui furent depuis causés par ce qu’on appelle en Italie la rabbia

  1. On trouvera la mort de Frédéric Barberousse racontée avec plus de détails dans les Annales de l’Empire. Voltaire glissa dans cet ouvrage nombre de morceaux de son Essai, qui n’était pas encore publié. Aussi ne doit-on pas s’étonner de ne rien lire ici de l’histoire intérieure de l’Allemagne, puisqu’elle est entièrement esquissée dans les Annales de l’Empire.