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DE LA PREMIÈRE CROISADE.

Ce qui est vrai, c’est qu’après cinq semaines de siége la ville fut emportée d’assaut, et que tout ce qui n’était pas chrétien fut massacré. L’Ermite Pierre, de général devenu chapelain, se trouva à la prise et au massacre. Quelques chrétiens, que les musulmans avaient laissé vivre dans la ville, conduisirent les vainqueurs dans les caves les plus reculées, où les mères se cachaient avec leurs enfants, et rien ne fut épargné. Presque tous les historiens conviennent qu’après cette boucherie les chrétiens, tout dégouttants de sang, (1099) allèrent en procession à l’endroit qu’on dit être le sépulcre de Jésus-Christ, et y fondirent en larmes[1]. Il est très-vraisemblable qu’ils y donnèrent des marques de religion ; mais cette tendresse qui se manifesta par des pleurs n’est guère compatible avec cet esprit de vertige, de fureur, de débauche, et d’emportement. Le même homme peut être furieux et tendre, mais non dans le même temps.

Elmacim rapporte qu’on enferma les Juifs dans la synagogue qui leur avait été accordée par les Turcs, et qu’on les y brûla tous. Cette action est croyable après la fureur avec laquelle on les avait exterminés sur la route.

(5 juillet 1099) Jérusalem fut prise par les croisés tandis qu’Alexis Comnène était empereur d’Orient, Henri IV, d’Occident, et qu’Urbain II, chef de l’Église romaine, vivait encore. Il mourut avant d’avoir appris ce triomphe de la croisade dont il était l’auteur.

Les seigneurs, maîtres de Jérusalem, s’assemblaient déjà pour donner un roi à la Judée. Les ecclésiastiques suivant l’armée se rendirent dans l’assemblée, et osèrent déclarer nulle l’élection qu’on allait faire, parce qu’il fallait, disaient-ils, faire un patriarche avant de faire un souverain.

Cependant Godefroi de Bouillon fut élu, non pas roi, mais duc de Jérusalem, Quelques mois après arriva un légat nommé Damberto, qui se fit nommer patriarche par le clergé ; et la première chose que fit ce patriarche, ce fut de prendre le petit royaume de Jérusalem pour lui-même au nom du pape. Il fallut que Godefroi de Bouillon, qui avait conquis la ville au prix de son sang, la cédât à cet évêque. Il se réserva le port de Joppé, et quelques droits dans Jérusalem. Sa patrie, qu’il avait abandonnée, valait bien au delà de ce qu’il avait acquis en Palestine.

  1. Voyez le chapitre vii de l’Essai sur la poésie épique, à la suite de la Henriade, tome VIII.