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CHAPITRE LVII.

Saphadin, frère du fameux Saladin, qui avait joint depuis peu l’Égypte à ses autres États, venait de démolir les restes des murailles de Jérusalem, qui n’était plus qu’un bourg ruiné ; mais comme Saphadin paraissait mal affermi dans l’Égypte, les croisés crurent pouvoir s’en emparer.

De Ptolémaïs le trajet est court aux embouchures du Nil. Les vaisseaux qui avaient apporté tant de chrétiens les portèrent en trois jours vers l’ancienne Péluse.

Près des ruines de Péluse est élevée Damiette sur une chaussée qui la défend des inondations du Nil. (1218) Les croisés commencèrent le siége pendant la dernière maladie de Saphadin, et le continuèrent après sa mort. Mélédin, l’aîné de ses fils, régnait alors en Égypte, et passait pour aimer les lois, les sciences, et le repos plus que la guerre. Corradin, sultan de Damas, à qui la Syrie était tombée en partage, vint le secourir contre les chrétiens. Le siége, qui dura deux ans, fut mémorable en Europe, en Asie, et en Afrique.

Saint François d’Assise[1], qui établissait alors son ordre, passa lui-même au camp des assiégeants ; et, s’étant imaginé qu’il pourrait aisément convertir le sultan Mélédin, il s’avança avec son compagnon, frère Illuminé, vers le camp des Égyptiens. On les prit, on les conduisit au sultan. François le prêcha en italien. Il proposa à Mélédin de faire allumer un grand feu dans lequel ses imans d’un côté, François et Illuminé de l’autre, se jetteraient pour faire voir quelle était la religion véritable. Mélédin, à qui un interprète expliquait cette proposition singulière, répondit en riant que ses prêtres n’étaient pas hommes à se jeter au feu pour leur foi ; alors François proposa de s’y jeter tout seul. Mélédin lui dit que s’il acceptait une telle offre il paraîtrait douter de sa religion. Ensuite il renvoya François avec bonté, voyant bien qu’il ne pouvait être un homme dangereux.

Telle est la force de l’enthousiasme que François, n’ayant pu réussir à se jeter dans un bûcher en Égypte et à rendre le soudan chrétien, voulut tenter cette aventure à Maroc. Il s’embarqua d’abord pour l’Espagne ; mais étant tombé malade, il obtint de frère Gille, et de quatre autres de ses compagnons, qu’ils allassent convertir les Maroquins. Frère Gille et les quatre moines font voile vers Tétuan, arrivent à Maroc, et prêchent en italien dans

  1. Son vrai nom était Jean. On l’avait surnommé Francesco, à cause de son goût pour la langue française. C’était le fils d’un colporteur d’Assise en Ombrie. (G. A.)