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DES CHALDÉENS.

rouler la terre et les autres planètes autour de lui, chacune dans un orbe différent[1].

Les progrès de l’esprit sont si lents, l’illusion des yeux est si puissante, l'asservissement aux idées reçues si tyrannique, qu’il n’est pas possible qu’un peuple qui n’aurait eu que dix-neuf cents ans eût pu parvenir à ce haut degré de philosophie qui contredit les yeux, et qui demande la théorie la plus approfondie. Aussi les Chaldéens comptaient quatre cent soixante et dix mille ans ; encore cette connaissance du vrai système du monde ne fut en Chaldée que le partage du petit nombre des philosophes. C’est le sort de toutes les grandes vérités ; et les Grecs, qui vinrent ensuite, n’adoptèrent que le système commun, qui est le système des enfants.

Quatre cent soixante et dix mille ans[2], c’est beaucoup pour nous autres qui sommes d’hier, mais c’est bien peu de chose pour l’univers entier. Je sais bien que nous ne pouvons adopter ce calcul ; que Cicéron s’en est moqué, qu’il est exorbitant, et que surtout nous devons croire au Pentateuque plutôt qu’à Sanchoniathon et à Bérose ; mais, encore une fois, il est impossible (humainement parlant) que les hommes soient parvenus en dix-neuf cents ans à deviner de si étonnantes vérités. Le premier art est celui de pourvoir à la subsistance, ce qui était autrefois beaucoup plus difficile aux hommes qu’aux brutes ; le second, de former un langage, ce qui certainement demande un espace de temps très-considérable ; le troisième, de se bâtir quelques huttes ; le quatrième, de se vêtir. Ensuite, pour forger le fer, ou pour y sup-

  1. Voyez l’article Système, dans le Dictionnaire philosophique.
  2. Notre sainte religion, si supérieure en tout à nos lumières, nous apprend que le monde n’est fait que depuis environ six mille années selon la Vulgate, ou environ sept mille suivant les Septante. Les interprètes de cette religion ineffable nous enseignent qu’Adam eut la science infuse, et que tous les arts se perpétuèrent d’Adam à Noé. Si c’est là en effet le sentiment de l’Église, nous l’adoptons d’une foi ferme et constante, soumettant d’ailleurs tout ce que nous écrivons au jugement de cette sainte Église, qui est infaillible. C’est vainement que l’empereur Julien, d’ailleurs si respectable par sa vertu, sa valeur, et sa science, dit dans son discours censuré par le grand et modéré saint Cyrille, que, soit qu’Adam eût la science infuse ou non, Dieu ne pouvait lui ordonner de ne point toucher à l’arbre de la science du bien et du mal ; que Dieu devait au contraire lui commander de manger beaucoup de fruits de cet arbre, afin de se perfectionner dans la science infuse s’il l’avait, et de l’acquérir s’il ne l’avait pas. On sait avec quelle sagesse saint Cyrille a réfuté cet argument. En un mot, nous prévenons toujours le lecteur que nous ne touchons en aucune manière aux choses sacrées. Nous protestons contre toutes les fausses interprétations, contre toutes les inductions malignes que l’on voudrait tirer de nos paroles. (Note de Voltaire.)