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DES BABYLONIENS DEVENUS PERSANS.

leurs femmes ; que tous les pères aient abandonné leurs filles aux palefreniers de l’Asie ? Ce qui n’est pas dans la nature n’est jamais vrai. J’aimerais autant croire Dion Cassius, qui assure que les graves sénateurs de Rome proposèrent un décret par lequel César, âgé de cinquante-sept ans, aurait le droit de jouir de toutes les femmes qu’il voudrait.

Ceux qui, en compilant aujourd’hui l’Histoire ancienne, copient tant d’auteurs sans en examiner aucun, n’auraient-ils pas dû s’apercevoir, ou qu’Hérodote a débité des fables ridicules, ou plutôt que son texte a été corrompu, et qu’il n’a voulu parler que des courtisanes établies dans toutes les grandes villes, et qui, peut-être alors, attendaient les passants sur les chemins ?

Je ne croirai pas davantage Sextus Empiricus, qui prétend que chez les Perses la pédérastie était ordonnée. Quelle pitié ! Comment imaginer que les hommes eussent fait une loi qui, si elle avait été exécutée, aurait détruit la race des hommes[1] ? La pédérastie, au contraire, était expressément défendue dans le livre du Zend ; et c’est ce qu’on voit dans l’abrégé du Zend, le Sadder, où il est dit (porte 9) qu’il n’y a point de plus grand péché[2].

Strabon dit que les Perses épousaient leurs mères ; mais quels sont ses garants ? des ouï-dire, des bruits vagues. Cela put fournir une épigramme à Catulle :

Nam magus ex matre et nato nascatur oportet.
Tout mage doit naître de l’inceste d’une mère et d’un fils.

Une telle loi n’est pas croyable ; une épigramme n’est pas une preuve. Si l’on n’avait pas trouvé de mères qui voulussent coucher avec leurs fils, il n’y aurait donc point eu de prêtres chez les Perses. La religion des mages, dont le grand objet était la population, devait plutôt permettre aux pères de s’unir à leurs filles, qu’aux mères de coucher avec leurs enfants, puisqu’un vieillard peut engendrer, et qu’une vieille n’a pas cet avantage.

Que de sottises n’avons-nous pas dites sur les Turcs ? Les Romains en disaient davantage sur les Perses.

  1. Voyez la Défense de mon oncle, chapitre v (Mélanges, année 1767).
    Voyez aussi une note sur l’article Amour socratique, dans le Dictionnaire philosophique. (K.)
  2. Voyez les réponses à celui qui a prétendu que la prostitution était une loi de l’empire des Babyloniens, et que la pédérastie était établie en Perse, dans le même pays. On ne peut guère pousser plus loin l’opprobre de la littérature, ni plus calomnier la nature humaine. (Note de Voltaire.)