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CHAPITRE LXX.

lant Charlemagne et ensuite les Othon dans la faible Italie ; les papes le détruisirent ensuite autant qu’ils le purent. Ce corps qui s’appelait et qui s’appelle encore le saint empire romain n’était en aucune manière ni saint, ni romain, ni empire.

Les électeurs dont les droits avaient été affermis par la bulle d’or de Charles IV, les firent bientôt valoir contre son propre fils, l’empereur Venceslas, roi de Bohême.

La France et l’Allemagne furent affligées à la fois d’un fléau sans exemple ; le roi de France et l’empereur avaient perdu presque en même temps l’usage de la raison : d’un côté Charles VI, par le dérangement de ses organes, causait celui de la France ; de l’autre, Venceslas, abruti par les débauches de la table, laissait l’empire dans l’anarchie. Charles VI ne fut point déposé, ses parents désolèrent la France en son nom ; mais les barons de Bohême enfermèrent Venceslas (1393), qui se sauva un jour tout nu de la prison (1400) ; et les électeurs en Allemagne le déposèrent juridiquement par une sentence publique : la sentence porte seulement qu’il est déposé comme négligent, inutile, dissipateur, et indigne.

On dit que quand on lui annonça sa déposition, il écrivit aux villes impériales d’Allemagne qu’il n’exigeait d’elles d’autres preuves de leur fidélité que quelques tonneaux de leur meilleur vin.

L’état déplorable de l’Allemagne semblait laisser le champ libre aux papes en Italie ; mais les républiques et les principautés qui s’étaient élevées avaient eu le temps de s’affermir. Depuis Clément V, Rome était étrangère aux papes : le Limousin Grégoire XI, qui enfin transféra le saint-siége à Rome, ne savait pas un mot d’italien.

(1376) Ce pape avait de grands démêlés avec la république de Florence, qui établissait alors son pouvoir en Italie : Florence s’était liguée avec Bologne. Grégoire, qui par l’ancienne concession de Mathilde se prétendait seigneur immédiat de Bologne, ne se borna pas à se venger par des censures ; il épuisa ses trésors pour payer les condottieri, qui louaient alors des troupes à qui voulait les acheter. Les Florentins voulurent s’accommoder et mettre les papes dans leurs intérêts ; ils crurent qu’il leur importait que le pontife résidât à Rome : il fallut donc persuader Grégoire de quitter Avignon. On ne peut concevoir comment, dans des temps où les esprits étaient si éclairés sur leurs intérêts, on employait des ressorts qui paraissent aujourd’hui si ridicules. On députa au pape sainte Catherine de Sienne, non-seulement femme à révélations, mais qui prétendait avoir épousé Jésus-Christ solennellement, et avoir reçu de lui à son mariage un anneau et un