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DES PHÉNICIENS ET DE SANCHONIATHON.

Indiens. Les Égyptiens même avaient la mer en horreur ; la mer était leur Typhon, un être malfaisant; et c’est ce qui fait révoquer en doute les quatre cents vaisseaux équipés par Sésostris pour aller conquérir l'Inde. Mais les entreprises des Phéniciens sont réelles, Carthage et Cadix fondées par eux, l’Angleterre découverte, leur commerce aux Indes par Éziongaber, leurs manufactures d’étoffes précieuses, leur art de teindre en pourpre, sont des témoignages de leur habileté ; et cette habileté fit leur grandeur.

Les Phéniciens furent dans l’antiquité ce qu’étaient les Vénitiens au xve siècle, et ce que sont devenus depuis les Hollandais, forcés de s’enrichir par leur industrie.

Le commerce exigeait nécessairement qu’on eût des registres qui tinssent lieu de nos livres de compte, avec des signes aisés et durables pour établir ces registres. L’opinion qui fait les Phéniciens auteurs de l’écriture alphabétique est donc très-vraisemblable. Je n’assurerais pas qu’ils aient inventé de tels caractères avant les Chaldéens ; mais leur alphabet fut certainement le plus complet et le plus utile, puisqu’ils peignirent les voyelles, que les Chaldéens n’exprimaient pas.

Je ne vois pas que les Égyptiens aient jamais communiqué leurs lettres, leur langue, à aucun peuple : au contraire, les Phéniciens transmirent leur langue et leur alphabet aux Carthaginois, qui les altérèrent depuis ; leurs lettres devinrent celles des Grecs, Quel préjugé pour l’antiquité des Phéniciens !

Sanchoniathon, Phénicien, qui écrivit longtemps avant la guerre de Troie l’histoire des premiers âges, et dont Eusèbe nous a conservé quelques fragments traduits par Philon de Biblos ; Sanchoniathon, dis-je, nous apprend que les Phéniciens avaient, de temps immémorial, sacrifié aux éléments et aux vents ; ce qui convient en effet à un peuple navigateur. Il voulut, dans son histoire, s’élever jusqu’à l’origine des choses, comme tous les premiers écrivains ; il eut la même ambition que les auteurs du Zend et du Veidam ; la même qu’eurent Manéthon en Égypte, et Hésiode en Grèce.

On ne pourrait douter de la prodigieuse antiquité du livre de Sanchoniathon, s’il était vrai, comme Warburton le prétend, qu’on en lût les premières lignes dans les mystères d’Isis et de Cérès, hommage que les Égyptiens et les Grecs n’eussent pas rendu à un auteur étranger s’il n’avait pas été regardé comme une des premières sources des connaissances humaines.

Sanchoniathon n’écrivit rien de lui-même ; il consulta toutes