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CHAPITRE CXXIX.

qu’elle devait la produire. On ne manqua pas d’en relever toutes les circonstances affreuses au commencement de la réforme. On oubliait que Rome même avait fait punir ce sacrilége par le plus grand supplice : on ne se souvenait que du sacrilége. Le peuple, qui en avait été témoin, croyait sans peine cette foule de profanations et de prestiges faits à prix d’argent, qu’on reprochait particulièrement aux ordres mendiants, et qu’on imputait à toute l’Église. Si ceux qui tenaient encore pour le culte romain objectaient que le siége de Rome n’était pas responsable des crimes commis par les moines, on leur mettait devant les yeux les attentats dont plusieurs papes s’étaient souillés. Rien n’est plus aisé que de rendre un corps entier odieux, en détaillant les crimes de ses membres.

Le sénat de Berne et celui de Zurich avaient donné une religion au peuple ; mais à Bâle ce fut le peuple qui contraignit le sénat à la recevoir. Il y avait déjà alors treize cantons suisses : Lucerne, et quatre des plus petits et des plus pauvres, Zug, Schwitz, Uri, Underwald, étant demeurés attachés à la communion romaine, commencèrent la guerre civile contre les autres. Ce fut la première guerre de religion entre les catholiques et les réformés. Le curé Zuingle se mit à la tête de l’armée protestante. Il fut tué dans le combat (1531), regardé comme un saint martyr par son parti, et comme un hérétique détestable par le parti opposé : les catholiques vainqueurs firent écarteler son corps par le bourreau, et le jetèrent ensuite dans les flammes. Ce sont là les préludes des fureurs auxquelles on s’emporta depuis.

Ce fameux Zuingle, en établissant sa secte, avait paru plus zélé pour la liberté que pour le christianisme. Il croyait qu’il suffisait d’être vertueux pour être heureux dans l’autre vie, et que Caton et saint Paul, Numa et Abraham, jouissaient de la même béatitude. Ce sentiment est devenu celui d’une infinité de savants modérés. Ils ont pensé qu’il était abominable de regarder le père de la nature comme le tyran de presque tout le genre humain, et le bienfaiteur de quelques personnes dans quelques petites contrées. Ces savants se sont trompés sans doute ; mais qu’il est humain de se tromper ainsi !

La religion de Zuingle s’appela depuis le calvinisme. Calvin lui donna son nom, comme Améric Vespuce donna le sien au nouveau monde, découvert par Colomb. Voilà en peu d’années trois Églises nouvelles : celle de Luther, celle de Zuingle, celle d’Angleterre, détachées du centre de l’union, et se gouvernant par elles-mêmes. Celle de France, sans jamais rompre avec le chef, était encore