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CHAPITRE CLXXV.

C’était surtout ce même tiers état de Paris qui demandait cette loi, après avoir voulu déposer Henri III, et après avoir souffert les extrémités de la famine plutôt que de reconnaître Henri IV. Mais les factions de la Ligue étant éteintes, le tiers état, qui compose le fonds de la nation, et qui ne peut avoir d’intérêt particulier, aimait le trône et détestait les prétentions de la cour de Rome. Le cardinal Duperron oublia dans cette occasion ce qu’il devait au sang de Henri IV, et ne se souvint que de l’Église. Il s’opposa fortement à la loi proposée, et s’emporta jusqu’à dire « qu’il serait obligé d’excommunier ceux qui s’obstineraient à soutenir que l’Église n’a pas le pouvoir de déposséder les rois ». Il ajouta que la puissance du pape était pleine, plénissime, directe au spirituel, et indirecte au temporel. La chambre du clergé, gouvernée par le cardinal Duperron, persuada la chambre de la noblesse de s’unir avec elle. Le corps de la noblesse avait toujours été jaloux du clergé ; mais il affectait de ne pas penser comme le tiers état. Il s’agissait de savoir si les puissances spirituelles et temporelles pouvaient disposer du trône. Le corps des nobles assemblés se regardait au fond, et sans se le dire, comme une puissance temporelle. Le cardinal leur disait : « Si un roi voulait forcer ses sujets à se faire ariens ou mahométans, il faudrait le déposer. » Un tel discours était bien déraisonnable : car il y a eu une foule d’empereurs et de rois ariens, et on n’en a déposé aucun pour cette raison. Cette supposition, toute chimérique qu’elle était, persuadait les députés de la noblesse qu’il y avait des cas où les premiers de la nation pouvaient détrôner leur souverain ; et ce droit, quoique éloigné, était si flatteur pour l’amour-propre que la noblesse voulait le partager avec le clergé. La chambre ecclésiastique signifia à celle du tiers état qu’à la vérité il n’était jamais permis de tuer son roi, mais elle tint ferme sur le reste.

Au milieu de cette étrange dispute, le parlement rendit un arrêt qui déclarait l’indépendance absolue du trône, loi fondamentale du royaume.

C’était, sans doute, l’intérêt de la cour de soutenir la demande du tiers état et l’arrêt du parlement, après tant de troubles qui avaient mis le trône en danger sous les règnes précédents. La cour, cependant, céda au cardinal Duperron, au clergé, et surtout à Rome, qu’on ménageait : elle étouffa elle-même une opinion sur laquelle sa sûreté était établie ; c’est qu’au fond elle pensait alors que cette vérité ne serait jamais réellement combattue par les événements, et qu’elle voulait finir des disputes