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SCIENCES, BEAUX-ARTS, AUX XIIIe ET XIVe SIÈCLES.

fréries d’artisans, de bourgeois, de femmes : les plus extravagantes cérémonies y étaient érigées en mystères sacrés ; et c’est de là que vient la société des francs-maçons, échappée au temps, qui a détruit toutes les autres.

La plus méprisable de toutes ces confréries fut celle des flagellants, et ce fut la plus étendue. Elle avait commencé d’abord par l’insolence de quelques prêtres qui s’avisèrent d’abuser de la faiblesse des pénitents publics jusqu’à les fustiger : on voit encore un reste de cet usage dans les baguettes dont sont armés les pénitenciers à Rome. Ensuite les moines se fustigèrent, s’imaginant que rien n’était plus agréable à Dieu que le dos cicatrisé d’un moine. Pierre Damien, dans le xie siècle, excita les séculiers même à se fouetter tout nus. On vit en 1260 plusieurs confréries de pèlerins courir toute l’Italie armés de fouets. Ils parcoururent ensuite une partie de l’Europe. Cette association fit même une secte qu’il fallut enfin dissiper.

Tandis que des troupes de gueux couraient le monde en se fustigeant, des fous marchaient dans presque toutes les villes à la tête des processions, avec une robe plissée, des grelots, une marotte ; et la mode s’en est encore conservée dans les villes des Pays-Bas et en Allemagne. Nos nations septentrionales avaient pour toute littérature, en langue vulgaire, les farces nommées moralités, suivies de celles de la mère sotte et du prince des sots.

On n’entendait parler que de révélations, de possessions, de maléfices. On ose accuser la femme de Philippe III d’adultère, et le roi envoie consulter une béguine pour savoir si sa femme est innocente ou coupable. Les enfants de Philippe le Bel font entre eux une association par écrit, et se promettent un secours mutuel contre ceux qui voudront les faire périr par la magie. On brûle par arrêt du parlement une sorcière qui a fabriqué avec le diable un acte en faveur de Robert d’Artois. La maladie de Charles VI est attribuée à un sortilège, et on fait venir un magicien pour le guérir. La princesse de Glocester, en Angleterre, est condamnée à faire amende honorable devant l’église de Saint-Paul, ainsi qu’on l’a déjà remarqué[1] ; et une baronne du royaume, sa prétendue complice, est brûlée vive comme sorcière.

Si ces horreurs, enfantées par la crédulité, tombaient sur les premières personnes des royaumes de l’Europe, on voit assez à quoi étaient exposés les simples citoyens. C’était encore là le moindre des malheurs.

  1. Chapitre lxxx.