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CHAPITRE CLXXVI.

il les fait enfermer à Vincennes. Le maréchal Ornano et Taleyrand-Chalais animent contre lui Gaston : il les fait accuser de vouloir attenter contre le roi même. Il enveloppe dans l’accusation, le comte de Soissons, prince du sang, Gaston, frère du roi, et jusqu’à la reine régnante, dont il avait osé être amoureux, et dont il avait été rebuté avec mépris. On voit par là combien il savait soumettre l’insolence de ses passions passagères à l’intérêt permanent de sa politique.

On dépose tantôt que le dessein des conjurés a été de tuer le roi, tantôt qu’on a formé le dessein de le déclarer impuissant, de l’enfermer dans un cloître, et de donner sa femme à Gaston, son frère. Ces deux accusations se contredisaient, et ni l’une ni l’autre n’étaient vraisemblables. Le véritable crime était de s’être uni contre le ministre, et d’avoir parlé même d’attenter à sa vie. Des commissaires jugent Chalais à mort (1626) ; il est exécuté à Nantes. Le maréchal Ornano meurt à Vincennes ; le comte de Soissons fuit en Italie ; la duchesse de Chevreuse, courtisée auparavant par le cardinal, et maintenant accusée d’avoir cabalé contre lui, prête d’être arrêtée, poursuivie par ses gardes, échappe à peine, et passe en Angleterre[1]. Le frère du roi est maltraité et observé. Anne d’Autriche est mandée au conseil : on lui défend de parler à aucun homme chez elle qu’en présence du roi son mari ; et on la force de signer qu’elle est coupable.

Les soupçons, la crainte, la désolation, étaient dans la famille royale et dans toute la cour. Louis XIII n’était pas l’homme de son royaume le moins malheureux. Réduit à craindre sa femme et son frère ; embarrassé devant sa mère, qu’il avait autrefois si maltraitée, et qui en laissait toujours échapper quelque souvenir ; plus embarrassé encore devant le cardinal, dont il commençait à sentir le joug : la crise des affaires étrangères était encore pour lui un nouveau sujet de peine ; le cardinal de Richelieu le liait à lui par la crainte et par les intrigues domestiques, par la nécessité de réprimer les complots de la cour, et de ne pas perdre son crédit chez les nations.

Trois ministres également puissants faisaient alors presque tout le destin de l’Europe ; Olivarès en Espagne, Buckingham en Angleterre, Richelieu en France : tous trois se haïssaient réciproquement, et tous trois négociaient toujours à la fois les uns contre les autres. Le cardinal de Richelieu se brouillait avec le duc de

  1. Elle traversa la rivière de Somme à la nage pour aller gagner Calais. (Note de Voltaire.)