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PROGRÈS DES TURCS. SIÉGE DE VIENNE.

que Candie. Les bombes de l’armée vénitienne détruisirent, dans cette conquête, plus d’un ancien monument que les Turcs avaient épargnés, et entre autres le fameux temple d’Athènes dédié aux dieux inconnus. Les janissaires, qui attribuaient tant de malheurs à l’indolence du sultan, résolurent de le déposer. Le caïmacan, gouverneur de Constantinople, Mustapha Cuprogli, le shérif de la mosquée de Sainte-Sophie, et le nakif, garde de l’étendard de Mahomet, vinrent signifier au sultan qu’il fallait quitter le trône, et que telle était la volonté de la nation. Le sultan leur parla longtemps pour se justifier. Le nakif lui répliqua qu’il était venu pour lui commander, de la part du peuple, d’abdiquer l’empire, et de le laisser à son frère Soliman. Mahomet IV répondit : « La volonté de Dieu soit faite ; puisque sa colère doit tomber sur ma tête, allez dire à mon frère que Dieu déclare sa volonté par la bouche du peuple. »

La plupart de nos historiens prétendent que Mahomet IV fut égorgé par les janissaires ; mais les annales turques font foi qu’il vécut encore cinq ans renfermé dans le sérail. Le même Mustapha Cuprogli, qui avait déposé Mahomet IV, fut grand-vizir sous Soliman III. Il reprit une partie de la Hongrie, et rétablit la réputation de l’empire turc ; mais depuis ce temps les limites de cet empire ne passèrent jamais Belgrade ou Témesvar. Les sultans conservèrent Candie ; mais ils ne sont rentrés dans le Péloponèse qu’en 1715. Les célèbres batailles que le prince Eugène a données contre les Turcs ont fait voir qu’on pouvait les vaincre, mais non pas qu’on pût faire sur eux beaucoup de conquêtes.

Ce gouvernement, qu’on nous peint si despotique, si arbitraire, paraît ne l’avoir jamais été que sous Mahomet II, Soliman, et Sélim II, qui firent tout plier sous leur volonté. Mais sous presque tous les autres padishas ou empereurs, et surtout dans nos derniers temps, vous retrouvez dans Constantinople le gouvernement d’Alger et de Tunis ; vous voyez en 1703 le padisha, Mustapha II[1], juridiquement déposé par la milice et par les citoyens de Constantinople. On ne choisit point un de ses enfants pour lui succéder, mais son frère Achmet III. Ce même empereur Achmet est condamné en 1730, par les janissaires et par le peuple, à résigner le trône à son neveu Mahmoud, et il obéit sans résistance, après avoir inutilement sacrifié son grand-vizir et ses principaux officiers au ressentiment de la nation. Voilà ces souverains si absolus ! On s’imagine qu’un homme est par les lois le maître

  1. Voyez aussi chapitre cxci, page 137.