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CHAPITRE CXCVII.

répandant chez tous les peuples de l’Europe ignorants et féroces, mêlaient partout le ridicule à la barbarie.

Les Arabes polirent l’Asie, l’Afrique, et une partie de l’Espagne, jusqu’au temps où ils furent subjugués par les Turcs, et enfin chassés par les Espagnols ; alors l’ignorance couvrit toutes ces belles parties de la terre ; des mœurs dures et sombres rendirent le genre humain farouche de Bagdad jusqu’à Rome.

Les papes ne furent élus, pendant plusieurs siècles, que les armes à la main ; et les peuples, les princes même, étaient si imbéciles, qu’un anti-pape reconnu par eux était dès ce moment vicaire de Dieu, et un homme infaillible. Cet homme infaillible était-il déposé, on révérait le caractère de la Divinité dans son successeur ; et ces dieux sur terre, tantôt assassins, tantôt assassinés, empoisonneurs et empoisonnés tour à tour, enrichissant leurs bâtards, et donnant des décrets contre la fornication, anathématisant les tournois, et faisant la guerre, excommuniant, déposant les rois, et vendant la rémission des péchés aux peuples, étaient à la fois le scandale, l’horreur, et la divinité de l’Europe catholique.

Vous avez vu[1], aux XIIe et XIIIe siècles, les moines devenir princes, ainsi que les évêques ; ces évêques et ces moines, partout à la tête du gouvernement féodal. Ils établirent des coutumes ridicules, aussi grossières que leurs mœurs : le droit exclusif d’entrer dans une église avec un faucon sur le poing, le droit de faire battre les eaux des étangs par les cultivateurs pour empêcher les grenouilles d’interrompre le baron, le moine, ou le prélat ; le droit de passer la première nuit avec les nouvelles mariées dans leurs domaines ; le droit de rançonner les marchands forains, car alors il n’y avait point d’autres marchands.

Vous avez vu parmi ces barbaries ridicules les barbaries sanglantes des guerres de religion.

La querelle des pontifes avec les empereurs et les rois, commencée dès le temps de Louis le Faible, n’a cessé entièrement en Allemagne qu’après Charles-Quint ; en Angleterre, que par la constance d’Élisabeth ; en France, que par la soumission forcée de Henri IV à l’Église romaine.

Une autre source qui a fait couler tant de sang a été la fureur dogmatique ; elle a bouleversé plus d’un État, depuis les massacres des Albigeois au XIIIe siècle, jusqu’à la petite guerre des Cévennes au commencement du XVIIIe. Le sang a coulé dans les campagnes

  1. Chapitre xxxiii.