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DU MINISTÈRE DU CARDINAL DE RICHELIEU.

ture et le commandement des armes, prend un poignard, et, le tenant à la main : « Je n’accepte, dit-il, l’emploi de votre maire qu’à condition d’enfoncer ce poignard dans le cœur du premier qui parlera de se rendre ; et qu’on s’en serve contre moi si jamais je songe à capituler. »

Pendant que la Rochelle se prépare ainsi à une résistance invincible, le cardinal de Richelieu emploie toutes les ressources pour la soumettre ; vaisseaux bâtis à la hâte, troupes de renfort, artillerie, enfin jusqu’au secours de l’Espagne ; et, profitant avec célérité de la haine du duc Olivarès contre le duc de Buckingham, faisant valoir les intérêts de la religion, promettant tout, et obtenant des vaisseaux du roi d’Espagne, alors l’ennemi naturel de la France, pour ôter aux Rochellois l’espérance d’un nouveau secours d’Angleterre. Le comte-duc envoie Frédéric de Tolède avec quarante vaisseaux devant le port de la Rochelle.

L’amiral espagnol arrive (1628). Croirait-on que le cérémonial rendit ce secours inutile, et que Louis XIII, pour n’avoir pas voulu accorder à l’amiral de se couvrir en sa présence, vit la flotte espagnole retourner dans ses ports (1629) ? Soit que cette petitesse décidât d’une affaire si importante, comme il n’arrive que trop souvent, soit qu’alors de nouveaux différends au sujet de la succession de Mantoue aigrissent la cour espagnole, sa flotte parut et s’en retourna ; et peut-être le ministre espagnol ne l’avait envoyée que pour montrer ses forces au ministre de France.

Le duc de Buckingham prépare un nouvel armement pour sauver la ville. Il pouvait en très-peu de temps rendre tous les efforts du roi de France inutiles. La cour a toujours été persuadée que le cardinal de Richelieu, pour parer ce coup, se servit de l’amour même de Buckingham pour Anne d’Autriche, et qu’on exigea de la reine qu’elle écrivît au duc. Elle le pria, dit-on, de différer au moins l’embarquement, et on assure que la faiblesse de Buckingham l’emporta sur son honneur et sur sa gloire.

Cette anecdote singulière a acquis tant de crédit qu’on ne peut s’empêcher de la rapporter : elle ne dément ni le caractère de Buckingham, ni l’esprit de la cour ; et en effet on ne peut comprendre comment le duc de Buckingham se borne à faire partir seulement quelques vaisseaux, qui se montrent inutilement, et qui reviennent dans les ports d’Angleterre. Les intérêts publics sont si souvent sacrifiés à des intrigues secrètes qu’on ne doit point du tout s’étonner que le faible Charles Ier, en feignant alors de protéger la Rochelle, la trahît pour complaire à la passion romanesque et passagère de son favori. Le général Ludlow, qui