Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome13.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
182
CHAPITRE CXCVII.

l’expiation dont il croit avoir besoin. La morale qu’on lui inspire est bonne ; l’indulgence qu’on lui vend, pernicieuse.

En vain quelques voyageurs et quelques missionnaires nous ont représenté les prêtres d’Orient comme des prédicateurs de l’iniquité ; c’est calomnier la nature humaine : il n’est pas possible qu’il y ait jamais une société religieuse instituée pour inviter au crime.

Si dans presque tous les pays du monde on a immolé autrefois des victimes humaines, ces cas ont été rares. C’est une barbarie abolie dans l’ancien monde ; elle était encore en usage dans le nouveau. Mais cette superstition détestable n’est point un précepte religieux qui influe sur la société. Qu’on immole des captifs dans un temple chez les Mexicains, ou qu’on les étrangle chez les Romains dans une prison, après les avoir traînés derrière un char au Capitole, cela est fort égal, c’est la suite de la guerre ; et quand la religion se joint à la guerre, ce mélange est le plus horrible des fléaux. Je dis seulement que jamais on n’a vu aucune société religieuse, aucun rite institué dans la vue d’encourager les hommes aux vices. On s’est servi dans toute la terre de la religion pour faire le mal, mais elle est partout instituée pour porter au bien ; et si le dogme apporte le fanatisme et la guerre, la morale inspire partout la concorde.

On ne se trompe pas moins quand on croit que la religion des musulmans ne s’est établie que par les armes. Les mahométans ont eu leurs missionnaires aux Indes et à la Chine, et la secte d’Omar combat la secte d’Ali par la parole jusque sur les côtes de Coromandel et de Malabar.

Il résulte de ce tableau que tout ce qui tient intimement à la nature humaine se ressemble d’un bout de l’univers à l’autre : que tout ce qui peut dépendre de la coutume est différent, et que c’est un hasard s’il se ressemble. L’empire de la coutume est bien plus vaste que celui de la nature ; il s’étend sur les mœurs, sur tous les usages ; il répand la variété sur la scène de l’univers : la nature y répand l’unité ; elle établit partout un petit nombre de principes invariables : ainsi le fonds est partout le même, et la culture produit des fruits divers.

Puisque la nature a mis dans le cœur des hommes l’intérêt, l’orgueil, et toutes les passions, il n’est pas étonnant que nous ayons vu, dans une période d’environ dix siècles, une suite presque continue de crimes et de désastres. Si nous remontons aux temps précédents, ils ne sont pas meilleurs. La coutume a fait que le mal a été opéré partout d’une manière différente.