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DU MINISTÈRE DU CARDINAL DE RICHELIEU.

se hasarda plus que le fils légitime ; il ne voulut point abandonner le duc de Montmorency, et fut tué à ses côtés. C’est ce même comte de Moret qu’on a fait revivre depuis, et qu’on a prétendu avoir été longtemps ermite : vaine fable mêlée à ces tristes événements.

Le moment de la prise de Montmorency fut celui du découragement de Gaston, et de la dispersion d’une armée que Montmorency seul lui avait donnée.

Alors ce prince ne put que se soumettre. La cour lui envoie le conseiller d’État Bullion, contrôleur général des finances, qui lui promit la grâce du duc de Montmorency. Cependant le roi ne stipula point cette grâce dans le traité qu’il fit avec son frère, ou plutôt dans l’amnistie qu’on lui accorda ; ce n’est pas agir avec grandeur que de tromper les malheureux et les faibles ; mais le cardinal voulait, par tous les moyens, l’avilissement de Monsieur et la mort de Montmorency. Gaston même promit, par un article du traité, d’aimer le cardinal de Richelieu.

On n’ignore point la triste fin du maréchal duc de Montmorency. Son supplice fut juste, si celui de Marillac ne l’avait pas été ; mais la mort d’un homme de si grande espérance, qui avait gagné des batailles, et que son extrême valeur, sa générosité, ses grâces, avaient rendu cher à toute la France, rendit le cardinal plus odieux que n’avait fait la mort de Marillac. On a écrit que, lorsqu’il fut conduit en prison, on lui trouva un bracelet au bras, avec le portrait de la reine Anne d’Autriche : cette particularité a toujours passé pour constante à la cour ; elle est conforme à l’esprit du temps. Mme  de Motteville, confidente de cette reine, avoue dans ses Mémoires que le duc de Montmorency avait, comme Buckingham, fait vanité d’être touché de ses charmes ; c’était le galantear des Espagnols, quelque chose d’approchant des sigisbés d’Italie, un reste de chevalerie, mais qui ne devait pas adoucir la sévérité de Louis XIII. Montmorency, avant d’aller à la mort (30 octobre 1632), légua un fameux tableau du Carrache au cardinal. Ce n’était pas là l’esprit du temps, mais un sentiment étranger inspiré aux approches de la mort, regardé par les uns comme un christianisme héroïque, et par les autres comme une faiblesse.

(15 novembre 1632) Monsieur n’étant revenu en France que pour faire périr sur l’échafaud son ami et son défenseur, réduit à n’être qu’exilé de la cour par grâce, et craignant pour sa liberté, sort encore du royaume, et va chez les Espagnols rejoindre sa mère à Bruxelles.