Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome13.djvu/384

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
372
ANNALES DE L’EMPIRE.

de vêpres, tous les Provençaux sont massacrés dans l’île, les uns dans les églises, les autres aux portes ou dans les places publiques, les autres dans leurs maisons. On compte qu’il y eut huit mille personnes égorgées. Cent batailles ont fait périr le triple et le quadruple d’hommes, sans qu’on y ait fait attention ; mais ici, ce secret, gardé si longtemps par tout un peuple ; des conquérants exterminés par la nation conquise ; les femmes, les enfants, massacrés ; des filles siciliennes enceintes par des Provençaux, tuées par leurs propres pères ; des pénitentes égorgées par leurs confesseurs, rendent cette action à jamais fameuse et exécrable[1]. On dit toujours que ce furent des Français qui furent massacrés à ces vêpres siciliennes, parce que la Provence est aujourd’hui à la France ; mais elle était alors province de l’empire, et c’était réellement des Impériaux qu’on égorgeait.

Voilà comme on commença enfin la vengeance de Conradin et du duc d’Autriche : leur mort avait été le crime d’un seul homme, de Charles d’Anjou ; et huit mille innocents l’expièrent !

Pierre d’Aragon aborde alors en Sicile avec sa femme Constance ; toute la nation se donne à lui, et, de ce jour, la Sicile resta à la maison d’Aragon ; mais le royaume de Naples demeure au prince de France.

L’empereur investit ses deux fils aînés, Albert et Rodolphe, à la fois, de l’Autriche, de la Stirie, de la Carniole, le 27 décembre 1282, dans une diète à Augsbourg, du consentement de tous les seigneurs, et même de celui de Louis de Bavière, qui avait des droits sur l’Autriche. Mais comment donner à la fois l’investiture des mêmes États à ces deux princes ? N’en avaient-ils que le titre ? le puîné devait-il succéder à l’aîné ? ou bien le puîné n’avait-il que le nom, tandis que l’autre avait la terre ? ou devaient-ils posséder ces États en commun ! c’est ce qui n’est pas expliqué. Ce qui est incontestable, c’est qu’on voit beaucoup de diplômes dans lesquels les deux frères sont nommés conjointement ducs d’Autriche, de Stirie, et de Carniole.

Il y a une seule vieille chronique anonyme qui dit que l’empereur Rodolphe investit son fils Rodolphe de la Souabe ; mais il n’y a aucun document, aucune charte, où l’on trouve que ce jeune Rodolphe ait eu la Souabe. Tous les diplômes l’appellent duc d’Autriche, de Stirie, de Carniole, comme son frère. Cepen-

  1. Voltaire parle ici selon la légende. Il juge mieux cet événement dans son Essai, où il dit qu’il n’est guère vraisemblable qu’on eût tramé une conspiration. En effet, l’insurrection éclata spontanément. (G. A.)