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ANNALES DE L’EMPIRE.

factures de choses précieuses et de goût. Les provinces du Nord étaient entièrement agrestes. La guerre de trente ans les avait ruinées. L’Allemagne, en soixante années de temps, a été plus différente d’elle-même qu’elle ne le fut depuis Othon jusqu’à Léopold.

Charles VI fut constamment heureux jusqu’en 1734.

Les célèbres victoires du prince Eugène sur les Turcs, à Témesvar et à Belgrade, avaient reculé les frontières de la Hongrie. L’empereur dominait dans l’Italie. Il y possédait le domaine direct de Naples et Sicile, du Milanais, du Mantouan. Le domaine impérial et suprême de la Toscane, de Parme et Plaisance, si longtemps contesté, lui était confirmé par l’investiture même qu’il donna de ces États à don Carlos, fils de Philippe V, qui par là devenait son vassal. Les droits de l’empire exercés en Italie par Léopold et par Joseph Ier étaient donc encore en vigueur ; et certainement, si un empereur avait conservé en Italie tant d’États, tant de droits avec tant de prétentions, ce combat de sept cents années de la liberté italique contre la domination allemande pouvait aisément finir par l’asservissement.

Ces prospérités eurent un terme par l’exercice même que Charles VI fit de son crédit dans l’Europe, en procurant conjointement avec la Russie le trône de Pologne à Auguste III, électeur de Saxe.

Ce fut une singulière révolution que celle qui lui fit perdre pour jamais Naples et Sicile, et qui enrichit encore le roi de Sardaigne à ses dépens, pour avoir contribué à donner un roi aux Polonais. Rien ne montre mieux quelle fatalité enchaîne tous les événements, et se joue de la prévoyance des hommes. Son bonheur l’avait deux fois rendu victorieux de cent cinquante mille Turcs ; et Naples et Sicile lui furent enlevés par dix mille Espagnols, en une seule campagne. Aurait-on imaginé, en 1700, que Stanislas, palatin de Posnanie, serait fait roi de Pologne par Charles XII ; qu’ayant perdu la Pologne, il deviendrait duc de Lorraine, et que, pour cette raison-là même, la maison de Lorraine aurait la Toscane ? Si on réfléchit à tous les événements qui ont troublé et changé les États, on trouvera que presque rien n’est arrivé de ce que les peuples attendaient, et de ce que les politiques avaient préparé.

Les dernières années de Charles VI furent encore plus malheureuses ; il crut que le prince Eugène, ayant défait les Turcs avec des armées allemandes inférieures, il les vaincrait à plus forte raison quand l’empire ottoman serait attaqué à la fois par les