Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/492

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Louis XIV, en épousant Mme de Maintenon, ne se donna donc qu’une compagne agréable et soumise. La seule distinction publique qui faisait sentir son élévation secrète, c’est qu’à la messe elle occupait une de ces petites tribunes ou lanternes dorées qui ne semblaient faites que pour le roi et la reine. D’ailleurs, nul extérieur de grandeur. La dévotion qu’elle avait inspirée au roi, et qui avait servi à son mariage, devint peu à peu un sentiment vrai et profond, que l’âge et l’ennui fortifièrent. Elle s’était déjà donné, à la cour et auprès du roi, la considération d’une fondatrice, en rassemblant à Noisy plusieurs filles de qualité ; et le roi avait affecté déjà les revenus de l’abbaye de Saint-Denis à cette communauté naissante. Saint-Cyr fut bâti au bout du parc de


    voisin (Victor-Amédée, duc de Savoie), que Louvois avait extrêmement irrité et maltraité, avait gagné le médecin Séron. On trouve une partie de ces anecdotes dans les Mémoires du marquis de La Fare, chapitre X. La famille même de Louvois fit mettre en prison un Savoyard qui frottait dans la maison ; mais ce pauvre homme, très-innocent, fut bientôt relâché. Or si l'on soupçonna, quoique très-mal à propos, un prince ennemi de la France d’avoir voulu attenter à la vie d’un ministre de Louis XIV, ce n’était pas certainement une raison pour en soupçonner Louis XIV lui-même.

    Le même auteur, qui, dans les Mémoires de Maintenon, a rassemblé tant de faussetés, prétend, au même endroit, que le roi dit « qu'il avait été défait la même année de trois hommes qu’il ne pouvait souffrir : le maréchal de La Feuillade, le marquis de Seignelai, et le marquis de Louvois ». Premièrement, M. de Seignelai ne mourut point la même année 1691, mais en 1690. En second lieu, à qui Louis XIV, qui s’exprimait toujours avec circonspection et en honnête homme, a-t-il dit des paroles si imprudentes et si odieuses ? à qui a-t-il développé une âme si ingrate et si dure ? à qui a-t-il pu dire qu’il était bien aise d’être défait de trois hommes qui l’avaient servi avec le plus grand zèle ? Est-il permis de calomnier ainsi, sans la plus légère preuve, sans la moindre vraisemblance, la mémoire d’un roi connu pour avoir toujours parlé sagement ? Tout lecteur sensé ne voit qu’avec indignation ces recueils d’impostures, dont le public est surchargé ; et l’auteur des Mémoires de Maintenon mériterait d’être châtié si le mépris dont il abuse ne le sauvait de la punition. (Note de Voltaire.) — On a prétendu que ce médecin Séron était mort empoisonné lui-même peu de temps après, et qu’on l’avait entendu répéter plus d’une fois pendant son agonie : « Je n’ai que ce que j’ai mérité. » Ces bruits sont dénués de preuves ; et si le prince qui en était l’objet eut souvent une politique artificieuse, jamais il ne fut accusé d’aucun crime particulier. Mais la crainte d’être empoisonné par l’ordre du roi, que La Beaumelle attribue à Louvois, est une véritable absurdité. Louis XIV était fatigué du caractère dur et impérieux de Louvois ; et l’ascendant qu’il avait laissé prendre à ce ministre lui était devenu insupportable. L'indignation que les violences ordonnées par Louvois, et surtout le deuxième incendie du Palatinat, avaient excitée en Europe contre Louis XIV, lui avaient rendu odieux un ministre dont les conseils le faisaient haïr. On a dit aussi que Louis XIV avait promis à Louvois, confident de son mariage, de ne jamais reconnaître Mme de Maintenon pour reine ; qu’il eut la faiblesse de vouloir oublier sa parole, et que Louvois la lui rappela avec une fermeté et une hauteur que ni le roi ni Mme de Maintenon ne purent lui pardonner. Le chagrin et l’excès du travail accélérèrent sa mort. (K.)