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LETTRE À M. ROQUES.

d’envoyer mon livre au roi en droiture, avec une lettre qu’il vit et corrigea lui-même[1]. »

Il n’est que trop vrai, monsieur, que ce cruel procédé trop public de Maupertuis, mon persécuteur, a été l’origine du livre scandaleux de La Beaumelle, et a causé des malheurs plus réels. Il n’est que trop vrai que Maupertuis manqua au secret qu’on doit à tout ce qui se dit au souper d’un roi. Et ce qui est encore plus douloureux, c’est qu’il joignit la fausseté à l’infidélité. Il est faux que j’eusse averti Sa Majesté prussienne de la manière dont La Beaumelle avait osé parler de ce monarque et de sa cour dans son livre intitulé le Qu’en dira-t-on, ou Mes Pensées ; je l’aurais pu, et je l’aurais dû, en qualité de son chambellan. Ce ne fut pas moi, ce fut un de mes camarades qui remplit ce devoir. J’ose en attester Sa Majesté elle-même. Elle me doit cette justice, elle ne peut refuser de me la rendre. Le chambellan qui l’en avertit est M. le marquis d’Argens : il l’avoue, et il en fait gloire.

Je n’étais que trop informé des coups qu’on me portait : courir chez un jeune étranger, chez un voyageur, chez un passant ; lui révéler le secret des soupers du roi son maître, me calomnier en tout ; lui rapporter ce qui s’était fait et dit dans mon appartement après le souper ; le déguiser, l’envenimer, comme il est prouvé par le reste de la lettre de La Beaumelle : c’était une des moindres manœuvres que j’avais à essuyer. Presque tout Berlin était instruit de cette persécution. Sa Majesté l’ignora toujours. J’étais bien loin de troubler la douceur de la retraite de Potsdam, et d’importuner le roi, notre bienfaiteur commun, par des plaintes. Ce monarque sait que non-seulement je ne lui ai jamais dit un seul mot contre personne, mais que je n’opposais que de la douceur et de la gaieté aux duretés continuelles de mon ennemi. Il ne pouvait contenir sa haine, et je souffrais avec patience. Je restai constamment dans ma chambre, sans en sortir que pour me rendre auprès de Sa Majesté quand elle m’appelait. Je gardai un profond silence sur les procédés de Maupertuis, et sur les trois volumes de La Beaumelle qu’ont produits ces procédés.

  1. La Beaumelle, dans sa Réponse au Supplément, déclare que cet extrait ne donne pas sa pensée. Il eût voulu que Voltaire citât toute la lettre, qui, du reste, fut écrite non pas « il y a six mois », mais après la Diatribe du docteur Akakia. (G. A.)