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DEUXIÈME PARTIE.

fâchés de retrouver ici ce passage du chapitre des Anecdotes[1] : « Je ne sais pourquoi la plupart des princes affectent de tromper par de fausses bontés ceux de leurs sujets qu’ils veulent perdre. La dissimulation alors est l’opposé de la grandeur : elle n’est jamais une vertu, et ne peut devenir un talent estimable que quand elle est absolument nécessaire. Louis XIV parut sortir de son caractère, etc. »

Voici la note de La Beaumelle : « Trait admirable et hardi, parce qu’il est écrit à Potsdam. » Certainement si on ne savait que c’est un La Beaumelle qui est l’auteur de ces commentaires, la postérité qui verrait une telle remarque faite à Berlin, imprimée en Allemagne, et demeurée sans réponse, serait en droit de conclure que le reproche fait ici à un monarque par un contemporain dans ses propres États est fondé sur la vérité. Cependant j’ose assurer que le portrait que ce correcteur d’histoire fait si impudemment d’un grand prince est l’opposé de son caractère. Je parle ici en historien, qui dit la vérité sans mélange et sans restriction.

Il est dit, dans l’histoire du Siècle[2], que « les dernières paroles de Louis XIV n’ont pas peu contribué, trente ans après, à cette paix que Louis XV a donnée à ses ennemis, dans laquelle on a vu un roi victorieux rendre toutes ses conquêtes pour tenir sa parole, rétablir tous ses alliés, et devenir l’arbitre de l’Europe par son désintéressement plus encore que par ses victoires ».

Que croira-t-on que La Beaumelle pense de ce morceau ? « Ne prêtez point, dit-il, de vertus à Louis XV. Ce désintéressement aurait été ridicule. »

En un autre endroit, il dit que M. de Voltaire voudrait que le Français fût esclave[3]. Moi, je voudrais que mes compatriotes fussent esclaves ! je voudrais être esclave, et que tous les hommes fussent libres. J’entends par libre, soumis uniquement aux lois : c’est la seule manière de l’être.

Y a-t-il rien de plus affreux, de plus digne d’un châtiment exemplaire, que de faire entendre qu’un grand prince[4] empoisonna la famille royale (page 347 du tome second de l’édition de

  1. Voyez tome XIV, page 431.
  2. Voyez la variante, tome XIV, page 482.
  3. Voltaire ayant parlé, à propos de la régence absolue du duc d’Orléans, d’une loi fondamentale (voyez chapitre xxviii), La Beaumelle mit en note : « Cette loi fondamentale n’existe pas. M. de Voltaire voudrait absolument que le Français fût esclave. » (G. A.) — Voyez tome XIV, page 481.
  4. Le duc d’Orléans.